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grand, d’un éternel amour. Là était mon erreur, là est aussi la vôtre. Vous vénérez en moi l’ombre d’une puissance qui n’exista jamais. J’ai été au-dessous de mon ambition, au-dessous de ma tâche. Ami, plaignez-moi, et ne n’admirez plus, vous qui m’admiriez pour avoir su aimer ! Je ne l’ai pas su, j’ai mal aimé !

» Oui, voilà mon histoire en deux mots. Je n’ai pas été pour l’homme qui m’avait remis le soin de son bonheur la sainte, l’ange que je me flattais d’être. Je n’ai pas su l’absorber en moi, parce que j’ai trop souhaité de l’absorber. Ce n’est pas ainsi qu’on doit aimer ; vous me le prouvez bien, vous qui ne me demandez rien que de me laisser chérir ! Moi, j’aurais voulu qu’il m’aimât au point de s’ennuyer loin de moi. Ses distractions, ses amusements n’étaient pas les miens. Si je l’avais osé, j’aurais haï ses plaisirs que je ne partageais pas. Je ne le lui ai jamais dit, je ne l’ai jamais dit à personne ; mais où est le mérite du silence ? La soumission n’est là qu’un calcul d’intérêt personnel qui consent à souffrir beaucoup pour ne pas risquer de souffrir davantage. J’aurais craint que la plainte n’éloignât tout à fait de moi celui que mon égoïsme eût voulu détacher de lui-même et anéantir à mon profit. Mon cœur était lâche, il était mécontent c’est-à-dire coupable. La docilité extérieure n’est qu’un masque transparent : on n’est pas habile, on n’est pas fort quand on n’est pas sincère. Faute de pou-