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impérieuse et un devoir jaloux, cela me cause des remords. Vous avouerai-je… ? Oui, vous voulez que je me confesse ! Eh bien, il y a des heures, des jours entiers où ce remords est si poignant, où je suis si révoltée contre moi-même d’accaparer ainsi, au profit de ma misérable demi-existence, le dévouement d’une personne qui a le droit et le besoin d’exister pour elle-même ; enfin, je me fais quelquefois tellement honte et aversion, que j’ai des pensées de suicide et que j’y céderais si je ne craignais de laisser des remords imaginaires à cette pauvre fille. Alors, voyez-vous, il me prend des envies sauvages de la fuir, de fuir tout le monde, de n’être plus à charge à personne… Ah ! si je savais un désert que je pusse atteindre en liberté ! Celui-ci m’a affranchi de la souffrance de mes proches ; mais déjà on me réclame, on me rappelle… et il n’est d’ailleurs pas assez profond, puisque m’y voilà avec Toinette qui m’aime, et vous qui parlez de m’aimer.

— Le raisonnement est inattaquable, pensa d’Argères, qui l’écoutait sans dépit, parce qu’il voyait en elle une sincérité complète. Je ne vaincrai pas sa douloureuse sagesse. Voyons si les entrailles sont muettes et si tout instinct d’affection humaine est éteint pour jamais.

Il se leva en silence, lui baisa la main, et sortit. Toinette était sur le palier, essayant de voir et d’entendre.