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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.



En ce moment un gros chat… (Page 36.)

— Et quels progrès veux-tu donc faire ? Nous n’avons jamais entendu rien qui approchât de toi, et je ne crois pas qu’il existe dans l’univers une cantatrice plus parfaite. Je te dis ce que je pense, et ceci n’est pas un compliment à la Frédéric.

— Quand même Votre Altesse ne se tromperait pas, ce que j’ignore, ajouta Consuelo en souriant (car excepté la Romanina et la Tési, je n’ai guère entendu d’autres cantatrices que moi), je pense qu’il y a toujours beaucoup à tenter et quelque chose à trouver au-delà de tout ce qui a été fait. Eh bien, cet idéal que j’avais porté en moi-même, j’eusse pu en approcher dans une vie d’action, de lutte, d’entreprise audacieuse, de sympathies partagées, d’enthousiasme en un mot ! Mais la régularité froide qui règne ici, l’ordre militaire établi jusque dans les coulisses des théâtres, la bienveillance calme et continuelle d’un public qui pense à ses affaires en nous écoutant, la haute protection du roi qui nous garantit des succès décrétés d’avance, l’absence de rivalité et de nouveauté dans le personnel des artistes et dans le choix des ouvrages, et surtout l’idée d’une captivité indéfinie ; toute cette vie bourgeoise, froidement laborieuse, tristement glorieuse et forcément cupide que nous menons en Prusse, m’a ôté l’espoir et jusqu’au désir de me perfectionner. Il y a des jours où je me sens tellement privée d’énergie et dépourvue de cet amour-propre chatouilleux qui aide à la conscience de l’artiste, que je paierais un sifflet pour me réveiller. Mais hélas ! que je manque mon entrée ou que je m’éteigne avant la fin de ma tâche, ce sont toujours les mêmes applaudissements. Ils ne me font aucun plaisir quand je ne les mérite pas ; ils me font de la peine quand, par hasard, je les mérite ; car ils sont alors tout aussi officiellement comptés, tout aussi bien mesurés par l’étiquette qu’à l’ordinaire, et je sens pourtant que j’en mériterais de plus spontanés ! Tout cela doit vous sembler puéril, noble Amélie ; mais vous désiriez connaître le fond de l’âme d’une actrice, et je ne vous cache rien.

— Tu expliques cela si naturellement, que je le conçois comme si je l’éprouvais moi-même. Je suis capable, pour te rendre service, de te siffler lorsque je te verrai engourdie, sauf à te jeter une couronne de roses quand je t’aurai éveillée !

— Hélas ! bonne princesse, ni l’un ni l’autre n’aurait