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SPIRIDION.

de l’être, et même ma dévotion avait un caractère d’orthodoxie farouche qui m’assurait, sinon la bienveillance, du moins la considération des supérieurs. Il y avait déjà quatre ans que j’avais fait profession, et cette ferveur de novice, qui est devenue un terme proverbial, ne s’était pas encore démentie. J’aimais la religion catholique avec une sorte de transport ; elle me semblait une arche sainte à l’abri de laquelle je pourrais dormir toute ma vie en sûreté contre les flots et les orages de mes passions ; car je sentais fermenter en moi une force capable de briser comme le verre tous les raisonnements de la sagesse ; et les idées que renferme ce mot, mystère, étaient les seules qui pussent m’enchaîner, parce qu’elles seules pouvaient gouverner ou du moins endormir mon imagination. Je me plaisais à exalter la puissance de cette révélation divine qui coupe court à toutes les controverses et promet, en revanche de la soumission de l’esprit, les éternelles joies de l’âme. Combien je la trouvais préférable à ces philosophies profanes qui cherchent vainement le bonheur dans un monde éphémère, et qui ne peuvent, après avoir lâché la bride aux instincts de la matière, reprendre le moindre empire durable sur eux par le raisonnement ! J’étais chargé de presque toutes les instructions scolastiques, et je professais la théologie en apôtre exalté, faisant servir tout l’esprit de discussion et d’examen qui étaient en moi à démontrer l’excellence d’une foi qui proscrivait l’un et l’autre.



Lorsqu’ils virent passer sur les rideaux la grande ombre de l’abbé… (Page 23.)

« Je semblais donc l’homme le moins propre à recevoir les confidences de l’ami d’Hébronius. Mais un seul acte de ma vie avait révélé naguère au vieux Fulgence quel fonds on pouvait faire sur la fermeté de mon caractère. Un novice m’avait confié une faute que je l’avais engagé à confesser. Il ne l’avait pas fait, et la faute ayant été découverte ainsi que la confidence que j’avais reçue, on taxait presque mon silence de complicité. On voulait pour m’absoudre que je fisse de plus amples révélations, et que je complétasse, par la délation, l’accusation portée contre ce jeune homme. J’aimai mieux me laisser charger que de le charger lui-même. Il confessa toute la vérité, et je fus disculpé. Mais on me fit un grand crime de ma résistance, et le Prieur m’adressa des reproches publics dans les termes les plus blessants pour l’orgueil irritable qui couvait dans mon sein. Il m’imposa une rude pénitence ; puis, voyant la surprise et la consternation que