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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.



Telle était en somme la lettre… (Page 14.)

— Vous n’avez pas le sens commun, ma chère.

— Raison de plus, Sire !

— Vous resterez », reprit-il en la forçant de se rasseoir devant le piano, et en se plaçant debout vis-à-vis d’elle.

Et il ajouta en l’examinant d’un air moitié père, moitié inquisiteur :

« Est-ce vrai, tout ce que vous venez de me conter là ? »

La Porporina surmonta l’horreur qu’elle avait pour le mensonge. Elle s’était dit souvent qu’elle serait sincère sur son propre compte avec cet homme terrible, mais qu’elle saurait mentir s’il s’agissait jamais du salut de ses victimes. Elle se voyait arrivée inopinément à cet instant de crise où la bienveillance du maître pouvait se changer en fureur. Elle en eût fait volontiers le sacrifice plutôt que de descendre à la dissimulation ; mais le sort de Trenck et celui de la princesse reposaient sur sa présence d’esprit et sur son intelligence. Elle appela l’art de la comédienne à son secours, et soutint avec un sourire malin le regard d’aigle du roi : c’était plutôt celui du vautour dans ce moment-là.

« Eh bien, dit le roi, pourquoi ne répondez-vous pas ?

— Pourquoi Votre Majesté veut-elle m’effrayer en feignant de douter de ce que je viens de dire ?

— Vous n’avez pas l’air effrayé du tout. Je vous trouve, au contraire, le regard bien hardi ce matin.

— Sire, on n’a peur que de ce qu’on hait. Pourquoi voulez-vous que je vous craigne ? »

Frédéric hérissa son armure de crocodile pour ne pas être ému de cette réponse, la plus coquette qu’il eût encore obtenue de la Porporina. Il changea aussitôt de propos, suivant sa coutume, ce qui est un grand art, plus difficile qu’on ne pense.

« Pourquoi vous êtes-vous évanouie, hier soir, sur le théâtre ?

— Sire, c’est le moindre souci de Votre Majesté, et c’est mon secret à moi.

— Qu’avez-vous donc mangé à votre déjeuner pour être si dégagée dans votre langage avec moi, ce matin ?

— J’ai respiré un certain flacon qui m’a remplie de confiance dans la bonté et dans la justice de celui qui me l’avait apporté.

— Ah ! vous avez pris cela pour une déclaration ? dit Frédéric d’un ton glacial et avec un mépris cynique.