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UN HIVER À MAJORQUE.

tant à être Français, que sa famille était originaire de France ?


Pour n’avoir plus la même valeur politique aujourd’hui, la découverte de M. Tastu n’en est pas moins intéressante, et si j’avais quelque voix au chapitre des fonds destinés aux lettres par le gouvernement français, je procurerais à ce bibliographe les moyens de la compléter.

Il importe assez peu aujourd’hui, j’en conviens, de s’assurer de l’origine française de Napoléon. Ce grand capitaine, qui, dans mes idées (j’en demande bien pardon à la mode), n’est pas un si grand prince, mais qui, de sa nature personnelle, était certes un grand homme, a bien su se faire adopter par la France, et la postérité ne lui demandera pas si ses ancêtres furent Florentins, Corses, Majorquins ou Languedociens ; mais l’histoire sera toujours intéressée à lever le voile qui couvre cette race prédestinée, où Napoléon n’est certes pas un accident fortuit, un fait isolé. Je suis sûr qu’en cherchant bien, on trouverait dans les générations antérieures de cette famille des hommes ou des femmes dignes d’une telle descendance, et ici les blasons, ces insignes dont la loi d’égalité a fait justice, mais dont l’historien doit toujours tenir compte, comme de monuments très-significatifs, pourraient bien jeter quelque lumière sur la destinée guerrière ou ambitieuse des anciens Bonaparte.

En effet, jamais écu fut-il plus fier et plus symbolique que celui de ces chevaliers majorquins ? Ce lion dans l’attitude du combat, ce ciel parsemé d’étoiles d’où cherche à se dégager l’aigle prophétique, n’est-ce pas comme l’hiéroglyphe mystérieux d’une destinée peu commune ? Napoléon, qui aimait la poésie des étoiles avec une sorte de superstition, et qui donnait l’aigle pour blason à la France, avait-il donc connaissance de son écu majorquin, et, n’ayant pu remonter jusqu’à la source présumée des Bonpar provençaux, gardait-il le silence sur ses aïeux espagnols ? C’est le sort des grands hommes, après leur mort, de voir les nations se disputer leurs berceaux ou leurs tombes.

BONAPART.
(Tiré d’un armorial MS., contenant les blasons des principales familles de Mallorca, etc., etc. Le MS. appartenait à D. Juan Dameto cronista de Mallorca, mort en 1633, et se conserve dans la bibliothèque du comte de Montenegro. Le MS. est du seizième siècle.)


Mallorca, 20 septembre 1837.
M. TASTU.


PROVAS DE PERA FORTUNY A 13 DE JUNY DE 1549.


No 1.
FORTUNY,
SON PARE, SOLAR DE MALLORCA.

FORTUNY,

Son père, ancienne maison noble de Mallorca.

Camp de plata, cinq torteus negres, en dos, dos, y un.

Champ d’argent, cinq tourteaux de sable, deux, deux et un.


No 2.
COS,
SA MARE, SOLAR DE MALLORCA.

COS,

Sa mère, maison noble de Mallorca.

Camp vermell ; un os de or, portant una flor de lliri sobre lo cap, del mateix.

Champ de gueules, ours d’or couronné d’une fleur de lis de même.


No 3.
BONAPART,
SA AVIA PATERNA, SOLAR DE MALORCA.

BONAPART,

Son aïeule paternelle, ancienne maison noble de Mallorca.

Ici manquait l’explication du blason : les différences proviennent de celui qui a peint ce nobiliaire : il n’a pas tenu compte qu’il décalquait ; d’ailleurs il a manqué d’exactitude.


No 4.
GARI,
SA AVIA MATERNA, SOLAR DE MALLORCA.

GARI,

Son aïeule maternelle, ancienne maison noble de Mallorca.

Partit en pal, primer vermell, ad tres torres de plata, en dos, y una ; segon blau, ab tres faxas ondeades, de plata.

Parti de gueules et d’azur, trois tours d’argent, deux, une, et trois fasces ondées, d’argent.


TROISIÈME PARTIE.

I.

Nous partîmes pour Valldemosa, vers la mi-décembre, par une matinée sereine, et nous allâmes prendre possession de notre chartreuse au milieu d’un de ces beaux rayons de soleil d’automne qui allaient devenir de plus en plus rares pour nous. Après avoir traversé les plaines fertiles d’Establiments, nous atteignîmes ces vagues terrains, tantôt boisés, tantôt secs et pierreux, tantôt humides et frais, et partout cahotés de mouvements abrupts qui ne ressemblent à rien.

Nulle part, si ce n’est en quelques vallées des Pyrénées, la nature ne s’était montrée à moi aussi libre dans ses allures que sur ces bruyères de Majorque, espaces assez vastes, et qui portaient dans mon esprit un certain démenti à cette culture si parfaite à laquelle les Majorquins se vantent d’avoir soumis tout leur territoire.

Je ne songeais pourtant pas à leur en faire un reproche ; car rien n’est plus beau que ces terrains négligés qui produisent tout ce qu’ils veulent, et qui ne se font faute de rien : arbres tortueux, penchés, échevelés ; ronces affreuses, fleurs magnifiques, tapis de mousses et de joncs, câpriers épineux, asphodèles délicates et charmantes ; et toutes choses prenant là les formes qu’il plaît à Dieu, ravin, colline, sentier pierreux tombant tout à coup dans une carrière, chemin verdoyant s’enfonçant dans un ruisseau trompeur, prairie ouverte à tout venant et s’arrêtant bientôt devant une montagne à pic ; puis des taillis semés de gros rochers qu’on dirait tombés du ciel, des chemins creux au bord du torrent entre des buissons de myrte et de chèvrefeuille ; enfin une ferme jetée comme une oasis au sein de ce désert, élevant son palmier comme une vigie pour guider le voyageur dans la solitude.

La Suisse et le Tyrol n’ont pas eu pour moi cet aspect de création libre et primitive qui m’a tant charmé à Majorque. Il me semblait que, dans les sites les plus sauvages des montagnes helvétiques, la nature, livrée à de trop rudes influences atmosphériques, n’échappait à la main de l’homme que pour recevoir du ciel de plus dures contraintes, et pour subir, comme une âme fougueuse livrée à elle-même, l’esclavage de ses propres