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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

à grand cliquetis d’épées, un combat acharné, les uns prétendant empêcher l’admission du nouveau frère, le traitant de pervers, d’indigne et de traître, tandis que les autres disaient combattre pour lui au nom de la vérité et d’un droit acquis. Cette scène étrange émut Consuelo comme un rêve pénible. Cette lutte, ces menaces, ce culte magique, ces sanglots que de jeunes adolescents faisaient entendre autour du cercueil, étaient si bien simulés, qu’un spectateur non initié d’avance en eût été réellement épouvanté. Lorsque les parrains du récipiendaire l’eurent emporté dans la dispute et dans le combat contre les opposants, on le releva, on lui mit un poignard dans la main, et on lui ordonna de marcher devant lui, et de frapper quiconque s’opposerait à son entrée dans le temple.



Et plusieurs adeptes s’étant armés de barres de fer… (Page 147.)

Consuelo n’en vit pas davantage. Au moment où le nouvel initié se dirigeait, le bras levé, et dans une sorte de délire, vers une porte basse où on le poussait, les deux guides, qui n’avaient pas abandonné les bras de Consuelo, l’emmenèrent rapidement comme pour lui dérober la vue d’un spectacle affreux ; et, lui rabattant le capuchon sur le visage, ils la conduisirent par de nombreux détours, et parmi des décombres où elle trébucha plus d’une fois, dans un lieu où régnait le plus profond silence. Là, on lui rendit la lumière, et elle se vit dans la grande salle octogone où elle avait surpris précédemment l’entretien d’Albert et de Trenck. Toutes les ouvertures étaient, cette fois, fermées et voilées avec soin ; les murs et le plafond étaient tendus de noir ; des cierges brûlaient aussi en ce lieu, dans un ordre particulier, différent de celui de la chapelle. Un autel en forme de calvaire, et surmonté de trois croix, masquait la grande cheminée. Un tombeau sur lequel étaient déposés un marteau, des clous, une lance et une couronne d’épines se dressait au milieu de la salle. Des personnages vêtus de noir et masqués étaient agenouillés ou assis à l’entour sur des tapis semés de larmes d’argent ; ils ne pleuraient ni ne gémissaient ; leur attitude était celle d’une méditation austère, ou d’une douleur muette et profonde.

Les guides de Consuelo la firent approcher jusqu’auprès du cercueil, et les hommes qui le gardaient s’étant levés et rangés à l’autre extrémité, l’un d’eux lui parla ainsi :