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LA COMTESSE DE RUDOLSTADT.

voir que de le voir irrité contre moi. Tu m’entends, ô mon Podiebrad ! s’écria-t-il en pressant contre ses lèvres les mains de mon fils, qui le regardait et l’écoutait sans le comprendre : je t’obéis, et je m’en vais. Quand tu reviendras, tu trouveras ton poêle allumé, tes livres rangés, ton lit de feuilles renouvelé, et le tombeau de ta mère jonché de palmes toujours vertes. Si c’est dans la saison des fleurs, il y aura des fleurs sur elle et sur les os de nos martyrs, au bord de la source… Adieu, Cynabre ! » Et en parlant ainsi, d’une voix entrecoupée par les pleurs, le pauvre Zdenko s’élança sur la pente des rochers qui s’inclinent vers la Bohême, et disparut avec la rapidité d’un daim aux premières lueurs du jour.



Adieu, Cynabre… (Page 136.)

« Je ne vous raconterai pas, chère Consuelo, les anxiétés de notre attente durant les premières semaines qu’Albert passa ici auprès de nous. Caché dans le pavillon que vous habitez maintenant, il revint peu à peu à la vie morale que nous nous efforcions de réveiller en lui, avec lenteur et précaution cependant. La première parole qui sortit de ses lèvres après deux mois de silence absolu fut provoquée par une émotion musicale. Marcus avait compris que la vie d’Albert était liée à son amour pour vous, et il avait résolu de n’invoquer le souvenir de cet amour qu’autant qu’il vous saurait digne de l’inspirer et libre d’y répondre un jour. Il prit donc sur vous les informations les plus minutieuses, et, en peu de temps, il connut les moindres détails de votre caractère, les moindres particularités de votre vie passée et présente. Grâce à l’organisation savante de notre ordre, aux rapports établis avec toutes les autres sociétés secrètes, à une quantité de néophytes et d’adeptes dont les fonctions consistent à examiner avec la plus scrupuleuse attention les choses et les personnes qui nous intéressent, il n’est rien qui puisse échapper à nos investigations. Il n’est point de secrets pour nous dans le monde. Nous savons pénétrer dans les arcanes de la politique, comme dans les intrigues des cours. Votre vie sans tache, votre caractère sans détours, n’étaient donc pas bien difficiles à connaître et à juger. Le baron de Trenck, dès qu’il sut que l’homme dont vous aviez été aimée et que vous ne lui aviez jamais nommé, n’était autre que son ami Albert, nous parla de vous avec effusion. Le comte de Saint-Germain, un des hommes les plus distraits en apparence et les plus clairvoyants en réalité, ce visionnaire