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CONSUELO.

moment de trouble et de désespoir ? Consuelo savait bien qu’il se soumettrait à son arrêt ; mais si elle allait se montrer aux environs du château, et qu’on vint dire au jeune comte qu’elle était encore là, à portée d’être atteinte et ramenée, n’accourrait-il pas pour la vaincre par ses supplications et ses larmes ? Fallait-il exposer ce noble jeune homme, et sa famille, et sa propre fierté, au scandale et au ridicule d’une entreprise avortée aussitôt que conçue ? Le retour d’Anzoleto viendrait peut-être d’ailleurs ramener au bout de quelques jours les embarras inextricables et les dangers d’une situation qu’elle venait de trancher par un coup de tête hardi et généreux. Il fallait donc tout souffrir et s’exposer à tout plutôt que de revenir à Riesenburg.



Anzoleto.

Résolue de chercher attentivement la direction de Vienne, et de la suivre à tout prix, elle s’arrêta dans un endroit couvert et mystérieux, où une petite source jaillissait entre des rochers ombragés de vieux arbres. Les alentours semblaient un peu battus par de petits pieds d’animaux. Étaient-ce les troupeaux du voisinage ou les bêtes de la forêt qui venaient boire parfois à cette fontaine cachée ? Consuelo s’en approcha, et, s’agenouillant sur les pierres humectées, trompa la faim, qui commençait à se faire sentir, en buvant de cette eau froide et limpide. Puis, restant pliée sur ses genoux, elle médita un peu sur sa situation.

« Je suis bien folle et bien vaine, se dit-elle, si je ne puis réaliser ce que j’ai conçu. Eh quoi ! sera-t-il dit que la fille de ma mère se soit efféminée dans les douceurs de la vie, au point de ne pouvoir plus braver le soleil, la faim, la fatigue, et les périls ? J’ai fait de si beaux rêves d’indigence et de liberté au sein de ce bien-être qui m’oppressait, et dont j’aspirais toujours à sortir ! et voilà que je m’épouvante dès les premiers pas ? N’est-ce pas là le métier pour lequel je suis née, « courir, pâtir, et oser ? » Qu’y a-t-il de changé en moi depuis le temps où je marchais avant le jour avec ma pauvre mère, souvent à jeun ! et où nous buvions aux petites fontaines des chemins pour nous donner des forces ? Voilà vraiment une belle Zingara, qui n’est bonne qu’à chanter sur les théâtres, à dormir sur le duvet, et à voyager en carrosse ! Quels dangers redoutais-je avec ma mère ? Ne me disait-elle pas, quand nous rencontrions des gens de mauvaise mine : « Ne crains rien ; ceux qui ne possèdent