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CONSUELO.

expression qui convient à un certain sentiment vulgaire, tout italien et par conséquent passionné sans beaucoup de discernement. Le culte de l’art, expression plus moderne, et dont tout le monde ne se servait pas il y a cent ans, a un sens tout autre que le goût des beaux-arts. Le comte était en effet homme de goût comme on l’entendait alors, amateur, et rien de plus. Mais la satisfaction de ce goût était la plus grande affaire de sa vie. Il aimait à s’occuper du public et à l’occuper de lui ; à fréquenter les artistes, à régner sur la mode, à faire parler de son théâtre, de son luxe, de son amabilité, de sa magnificence. Il avait, en un mot, la passion dominante des grands seigneurs de province, l’ostentation. Posséder et diriger un théâtre était le meilleur moyen de contenter et de divertir toute la ville. Plus heureux encore s’il eût pu faire asseoir toute la République à sa table ! Quand des étrangers demandaient au professeur Porpora ce que c’était que le comte Zustiniani, il avait coutume de répondre : C’est un homme qui aime à régaler, et qui sert de la musique sur son théâtre comme des faisans sur sa table.



Ce jeune gars, que vous voyez assis… (Page 5.)

Vers une heure du matin on se sépara.

« Anzolo, dit la Corilla, qui se trouvait seule avec lui dans une embrasure du balcon, où demeures-tu ? »

À cette question inattendue, Anzoleto se sentit rougir et pâlir presque simultanément ; car comment avouer à cette merveilleuse et opulente beauté qu’il n’avait quasi ni feu ni lieu ? Encore cette réponse eût-elle été plus facile à faire que l’aveu de la misérable tanière où il se retirait les nuits qu’il ne passait pas par goût ou par nécessité à la belle étoile.

« Eh bien, qu’est-ce que ma question a de si extraordinaire ? dit la Corilla en riant de son trouble.

— Je me demandais, moi, répondit Anzoleto avec beaucoup de présence d’esprit, quel palais de rois ou de fées pourrait être digne de l’orgueilleux mortel qui y porterait le souvenir d’un regard d’amour de la Corilla !

— Et que prétend dire par là ce flatteur ? reprit-elle en lui lançant le plus brûlant regard qu’elle put tirer de son arsenal de diableries.

— Que je n’ai pas ce bonheur, répondit le jeune homme ; mais que si je l’avais, j’aurais l’orgueil de ne vouloir demeurer qu’entre le ciel et la mer, comme les étoiles.