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GABRIEL.

ANTONIO.

Vous me ranimez…

ASTOLPHE.

Nous allons vous reconduire chez vous. Sans doute vous y trouverez quelqu’un qui vous soignera mieux que nous.

ANTONIO.

Je vous remercie. J’accepterai votre bras. Laissez-moi reprendre un peu de force… Si ce sang pouvait s’arrêter…

FAUSTINA, lui donnant son mouchoir, qu’il met sur sa poitrine.

Pauvre Antonio ! tes lèvres sont toutes bleues… Viens chez moi…

ANTONIO.

Tu es une bonne fille, d’autant plus que j’ai eu des torts envers toi. Mais je n’en aurai plus… Va, j’ai été bien ridicule… Astolphe, puisque je vous rencontre, quand je vous croyais bien loin d’ici, je veux vous dire ce qui en est… car aussi bien… votre cousin vous le dira, et j’aime autant m’accuser moi-même…

ASTOLPHE.

Mon cousin, ou ma cousine.

ANTONIO.

Ah ! vous savez donc ma folie ? Il vous l’a déjà racontée… Elle me coûte cher ! J’étais persuadé que c’était une femme…

FAUSTINA.

Que dit-il ?

ANTONIO.

Il m’a donné des éclaircissements fort rudes : un affreux coup d’épée dans les côtes… j’ai cru d’abord que ce serait peu de chose, j’ai voulu m’en revenir seul chez moi ; mais, en traversant le Colisée, j’ai été pris d’un étourdissement et je suis resté évanoui pendant… je ne sais combien !… Quelle heure est-il ?

FAUSTINA.

Près de minuit.

ANTONIO.

Huit heures venaient de sonner quand je rencontrai Gabriel Bramante derrière le Colisée.

ASTOLPHE, sortant comme d’un rêve.

Gabriel ! mon cousin ? Vous vous êtes battu avec lui ! Vous l’avez tué peut-être ?

ANTONIO.

Je ne l’ai pas touché une seule fois, et il m’a poussé une botte dont je me souviendrai longtemps… (Il boit de l’eau) Il me semble que mon sang s’arrête un peu… Ah ! quel compère que ce garçon-là !… À présent je crois que je pourrai gagner mon logis… Vous me soutiendrez un peu tous les deux… Je vous conterai l’affaire en détail.

ASTOLPHE, à part.

Est-ce une feinte ? Aurait-il cette lâcheté ?… (Haut.) Vous êtes donc bien blessé ? (Il regarde la poitrine d’Antonio. À part.) C’est la vérité, une large blessure. Ô Gabrielle. (Haut.) Je courrai vous chercher un chirurgien… dès que je vous aurai conduit chez vous…

FAUSTINA.

Non ! chez moi, c’est plus près d’ici.

(Ils sortent en soutenant Antonio de chaque côté)

Scène VI.

Une petite chambre très-sombre.


GABRIEL, MARC.

(Gabriel en costume noir avec son domino rejeté sur ses épaules. Il est assis dans une attitude rêveuse et plongé dans ses pensées. Marc au fond de la chambre.)

MARC.

Il est deux heures du matin, monseigneur, est-ce que vous ne songez pas à vous reposer ?

GABRIEL.

Va dormir, mon ami, je n’ai plus besoin de rien.

MARC.

Hélas ! vous tomberez malade ! Croyez-moi, il vaudrait mieux vous réconcilier avec le seigneur Astolphe, puisque vous ne pouvez pas l’oublier…

GABRIEL.

Laisse-moi, mon bon Marc ; je t’assure que je suis tranquille.

MARC.

Mais si je m’en vais, vous ne songerez pas à vous coucher, et je vous retrouverai là demain matin, assis à la même place, et votre lampe brûlant encore. Quelque jour, le feu prendra à vos cheveux… et, si cela n’arrive pas, le chagrin vous tuera un peu plus tard. Si vous pouviez voir comme vous êtes changé !

GABRIEL.

Tant mieux, ma fraîcheur trahissait mon sexe. À présent que je suis garçon pour toujours, il est bon que mes joues se creusent… Qu’as-tu à regarder cette porte ?…

MARC.

Vous n’avez rien entendu ? Quelque chose a gratté à la porte.

GABRIEL.

C’est ton épée. Tu as la manie d’être armé jusque dans la chambre.

MARC.

Je ne serai pas en repos tant que vous n’aurez pas fait la paix avec votre grand-père… Tenez ! encore !

(On entend gratter à la porte avec un petit gémissement.)
GABRIEL, allant vers la porte.

C’est quelque animal… Ceci n’est pas un bruit humain.

(Il veut ouvrir la porte.)
MARC, l’arrêtant.

Au nom du ciel ! laissez-moi ouvrir le premier, et tirez votre épée…

(Gabriel ouvre la porte malgré les efforts de Marc pour l’en empêcher. Mosca entre et se jette dans les jambes de Gabriel avec des cris de joie.)

GABRIEL.

Beau sujet d’alarme ! Un chien gros comme le poing ! Eh quoi ! c’est mon pauvre Mosca ! Comment a-t-il pu me venir trouver de si loin ? Pauvre créature aimante !

(Il prend Mosca sur ses genoux et le caresse.)
MARC.

Ceci m’alarme en effet… Mosca n’a pu venir tout seul, il faut que quelqu’un l’ait amené… Le prince Jules est ici ! On frappe en bas… (Il prend des pistolets sur une table.)