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L’USCOQUE.

vous entendrez des cantiques qui vous délasseront les oreilles des chansons licencieuses. Vous y verrez des spectacles non moins profanes et des hommes non moins vaniteux que ceux du monde ; vous leur ferez des dons qui vous assureront dans les siècles futurs cette réputation d’homme généreux et prodigue, qui va finir avec vous si vous ne guérissez et ne changez de marotte. Ainsi, soyez votre médecin à vous-même, et avisez-vous de quelque chose dont vous n’ayez jamais eu envie, procurez-vous-le à l’instant. Bientôt une foule de désirs qui sommeillent en vous se réveilleront, et leur satisfaction vous donnera des jouissances inconnues. Ne vous croyez pas usé ; vous n’êtes pas seulement fatigué, vous avez encore en vous la force de dépenser vingt existences : c’est à cause de cela que vous vous tuez à n’en dépenser qu’une seule. Le monde finirait s’il ne se renouvelait sans cesse par le changement ; l’abattement où vous êtes n’est qu’un excès de vie qui demande à changer d’aliment. Eh bien ! à quoi songez-vous ? vous n’écoutez pas.



Il le trouva debout contre le parapet… (Page 37.)

— Je cherche, dit Soranzo tout à fait vaincu par la manière dont l’Esculape entendait les choses, une fantaisie que je n’aie point eue encore. J’ai eu celle des beaux livres, bien que je ne lise jamais, et ma bibliothèque est superbe… Quant aux églises… j’y songerai ; mais je voudrais que vous m’aidassiez à trouver quelque jouissance plus neuve, plus éloignée encore de mes frénésies ; si je pouvais devenir avare !

— Je vous entends fort bien, répondit Barbolamo frappé de l’air hébété de son malade. Vous allez au fond des choses, et remontez au principe pur de mon raisonnement ; car je ne vous offrais qu’une issue nouvelle à vos passions, et vous voulez changer vos passions. Moi, je n’ai rien à dire contre l’avarice ; cependant je crains une trop forte réaction dans le saut de cet abîme. Dites-moi, avez-vous été quelquefois amoureux naïvement et sincèrement ?

— Jamais ! dit Orio, oubliant tout d’un coup, dans son espoir d’être guéri, ce rôle de veuf au désespoir qui protégeait tout le mystère de sa vie.

— Eh bien ! dit le médecin, qui ne fut nullement surpris de cette réponse (car il voyait déjà plus avant que la foule dans l’âme sèche et cupide de Soranzo), soyez amoureux. Vous commencerez par ne pas l’être, et par faire comme si vous l’étiez ; puis vous vous figurerez que