Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 4, 1853.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
LE MEUNIER D’ANGIBAULT.



Le chemin était sombre et désert. (Page 87.)

En ce moment, des cris perçants retentirent dans la chambre de la folle ; madame Bricolin tressaillit, et Rose devint pâle comme la mort.

— Écoutez ! mon père, dit-elle en saisissant avec force le bras de M. Bricolin ; écoutez bien, et osez donc rire encore de la folie des jeunes filles ! Plaisantez sur les maisons des fous, vous qui semblez oublier qu’une fille de notre rang peut aimer un homme sans fortune, jusqu’à tomber dans un état pire que la mort !

— Ainsi, elle l’avoue, elle le proclame ! s’écria madame Bricolin, partagée entre la rage et le désespoir ; elle aime ce manant, et elle nous menace de tourner comme sa sœur !

— Rose ! Rose ! dit M. Bricolin épouvanté, taisez-vous ! et vous, Thibaude, allez-vous-en voir la Bricoline, ajouta-t-il d’un ton impérieux.

Madame Bricolin sortit. Rose restait debout, la figure bouleversée, effrayée de ce qu’elle venait de dire à son père.

— Ma fille, tu es malade, dit M. Bricolin tout ému. Il faut reprendre tes sens.

— Oui, vous avez raison, mon père, je suis malade, dit Rose fondant en larmes et en se jetant dans les bras de son père.

M. Bricolin avait été effrayé, mais il lui était impossible de s’attendrir. Il embrassa Rose comme un enfant qu’on apaise, mais non comme une fille qu’on adore. Il était vain de sa beauté, de son esprit, et plus encore de la richesse qu’il voulait placer sur sa tête. Il eût mieux aimé l’avoir mise au monde laide et sotte, mais inspirant l’envie par son argent, que parfaite et pauvre, et inspirant la pitié.

— Petite, lui dit-il, tu n’as pas le sens commun, ce soir. Va te coucher, et que ce meunier et vos belles amitiés te sortent de la cervelle. Sa sœur t’a nourrie, c’est vrai ; mais elle a été, parbleu ! bien payée. Ce garçon a été ton camarade d’enfance, c’est encore vrai ; mais il était notre domestique, et il ne faisait que son devoir en t’amusant. Il me plaît de le chasser au jour d’aujourd’hui, parce qu’il m’a joué un vilain tour : c’est ton devoir de trouver que j’ai raison.

— Oh ! mon père, dit Rose en pleurant toujours dans les bras du fermier, vous révoquerez cet ordre-là. Vous lui permettrez de se justifier, car il n’est pas coupable,