Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 4, 1853.djvu/284

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
9
LEONE LEONI.



Mes deux belles protégées mangeaient sur mes genoux. (Page 12.)

Mon père, tout étourdi de ces reproches, et surtout de mes pleurs, jura qu’il n’avait jamais songé à tant d’exigence, et qu’il ferait tout ce que je voudrais. Il m’embrassa mille fois, et me tint le langage qu’on tient à un enfant de six ans lorsqu’on cède à ses fantaisies pour se débarrasser de ses cris. Ma tante arriva et parla moins tendrement. Elle me fit même des reproches qui me blessèrent. — Une jeune personne chaste et bien élevée, disait-elle, ne devait pas montrer tant d’impatience d’appartenir à un homme. — On voit bien, lui dit ma mère, tout à fait piquée, que vous n’avez jamais pu appartenir à aucun. Mon père ne pouvait souffrir qu’on manquât d’égards envers sa sœur. Il pencha de son côté, et fit observer que notre désespoir était un enfantillage, que huit jours seraient bientôt passés. J’étais mortellement offensée de l’impatience qu’on me supposait, et j’essayais de retenir mes larmes ; mais celles de Leoni exerçaient sur moi une puissance magnétique, et je ne pouvais m’arrêter. Alors il se leva, les yeux tout humides, les joues animées, et, avec un sourire d’espérance et de tendresse, il courut vers ma tante ; il prit ses mains dans une des siennes, celles de mon père dans l’autre, et se jeta à genoux en les suppliant de ne plus s’opposer à son bonheur. Ses manières, son accent, son visage, avaient un pouvoir irrésistible ; c’était d’ailleurs la première fois que ma pauvre tante voyait un homme à ses pieds. Toutes les résistances furent vaincues. Les bans étaient publiés, toutes les formalités préparatoires étaient remplies ; notre mariage fut fixé à la semaine suivante, sans aucun égard à l’arrivée des papiers.

Le mardi gras tombait le lendemain. M. Delpech donnait une fête magnifique ; Leoni nous avait priées de nous habiller en femmes turques ; il nous avait fait une aquarelle charmante, que nos couturières avaient copiée avec beaucoup d’exactitude. Le velours, le satin brodé, le cachemire, ne furent pas épargnés. Mais ce fut la quantité et la beauté des pierreries qui nous assurèrent un triomphe incontestable sur toutes les toilettes du bal. Presque tout le fonds de boutique de mon père y passa : les rubis, les émeraudes, les opales ruisselaient sur nous ; nous avions des réseaux et des aigrettes de brillants, des bouquets admirablement montés en pierres de toutes couleurs. Mon corsage et jusqu’à mes souliers, étaient brodés en perles fines ; une torsade de ces perles, d’une beauté extraordinaire,