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TEVERINO.



Sabina, gracieusement étendue. (Page 14.)

la critique, le rendit très-supérieur en cet instant à la femme vindicative qui le flagellait. Sabina s’en aperçut et comprit ce qu’il y a de plus mâle dans l’esprit de l’homme, ce penchant ou cette soumission irrésistible à la vérité, que l’éducation et les habitudes de la femme s’appliquent trop victorieusement à combattre. Elle eut des remords de son emportement, car elle vit que Léonce se reprochait le sien et sondait son propre cœur avec effroi. Elle eut envie de le consoler du mal qu’elle venait de lui faire, puis elle eut peur que sa méditation ne cachât quelque pensée de haine profonde et de vengeance raffinée. Cette crainte la frappa au cœur ; car, aussi bien que Léonce, elle valait mieux que son portrait, et les sources de l’affection n’étaient point taries en elle. Elle essaya vainement de retenir ses larmes ; Léonce entendit des sanglots s’échapper de sa poitrine.

— Pourquoi pleurez-vous ? lui demanda-t-il en s’agenouillant à ses pieds et en prenant sa main dans les siennes.

— Je pleure notre amitié perdue, répondit-elle en se penchant vers lui et en laissant tomber quelques larmes sur ses beaux cheveux. Nous nous sommes mortellement blessés, Léonce ; nous ne nous aimons plus. Mais puisque c’en est fait, et que nous n’avons plus à craindre que l’amour nous gâte le passé, laissez-moi pleurer sur ce passé si pur et si beau ! laissez-moi vous dire ce qu’apparemment vous ne compreniez pas, puisque vous avez pu, de gaieté de cœur, entamer cette lutte meurtrière. Je vous aimais d’une douce et véritable amitié ; je me reposais sur votre cœur comme sur celui d’un frère ; j’espérais trouver en vous protection et conseil dans tout le cours de ma vie. Vos défauts me semblaient petits et vos qualités grandes. Maintenant, adieu, Léonce. Reconduisez-moi chez mon mari. Vous aviez bien raison de m’annoncer pour cette journée des émotions imprévues, et si terribles que je n’en perdrai jamais le souvenir. Je ne les prévoyais pas si amères, et je ne comprends pas pourquoi vous me les avez données. Pourtant, au moment où je sens qu’elles ont tout brisé entre nous, je sens aussi que la douleur surpasse la colère, et je ne veux pas que notre dernier adieu soit une malédiction.

Sabina effleura de ses lèvres le front de Léonce, et ce baiser chaste et triste, le seul qu’elle lui eût donné de sa vie, renoua le nœud qu’elle croyait délié.