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INDIANA.



Pourquoi pleurez-vous ? (Page 16.)

« Indiana, lui dit-il, vous pleurez… Pourquoi pleurez-vous ?… Je veux le savoir. »

Elle tressaillit de s’entendre appeler par son nom ; mais il y eut encore du bonheur dans la surprise que lui causa cette audace.

« Pourquoi le demandez-vous ? lui dit-elle, je ne dois pas vous le dire…

— Eh bien ! moi je le sais, Indiana. Je sais toute votre histoire, toute votre vie. Rien de ce qui vous concerne ne m’est étranger, parce que rien de ce qui vous concerne ne m’est indifférent. J’ai voulu tout connaître de vous, et je n’ai rien appris que ne m’eût révélé un instant passé chez vous, lorsqu’on m’apporta tout sanglant, tout brisé à vos pieds, et que votre mari s’irrita de vous voir, si belle et si bonne, me faire un appui de vos bras moelleux, un baume de votre douce haleine. Lui, jaloux ! oh ! je le conçois bien ; à sa place je le serais, Indiana ; ou plutôt, à sa place je me tuerais ; car, être votre époux, Madame, vous posséder, vous tenir dans ses bras, et ne pas vous mériter, n’avoir pas votre cœur, c’est être le plus misérable ou le plus lâche des hommes.

— Ô ciel ! taisez-vous, s’écria-t-elle en lui fermant la bouche avec ses mains, taisez-vous, car vous me rendez coupable. Pourquoi me parlez-vous de lui ? pourquoi voulez-vous m’enseigner à le maudire ?… S’il vous entendait !… Mais je n’ai pas dit de mal de lui ; ce n’est pas moi qui vous autorise à ce crime ! moi, je ne le hais pas, je l’estime, je l’aime !…

— Dites que vous le craignez horriblement ; car le despote a brisé votre âme, et la peur s’est assise à votre chevet depuis que vous êtes devenue la proie de cet homme. Vous, Indiana, profanée à ce rustre dont la main de fer a courbé votre tête et flétri votre vie ! Pauvre enfant ! si jeune et si belle, avoir déjà tant souffert !… car ce n’est pas moi que vous tromperiez, Indiana ; moi qui vous regarde avec d’autres yeux que ceux de la foule, je sais tous les secrets de votre destinée, et vous ne pouvez pas espérer vous cacher de moi. Que ceux qui vous regardent parce que vous êtes belle disent en remarquant votre pâleur et votre mélancolie : « Elle est malade… » à la bonne heure ; mais moi qui vous suis avec mon cœur, moi dont l’âme tout entière vous entoure de sollicitude et d’amour, je connais bien votre mal. Je sais bien que si le ciel l’eût voulu, s’il vous eût donnée à moi, à moi