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JEANNE.

Maintenant je commence à trouver l’aventure plus plaisante que sérieuse. Ce bon Arthur ! Quelle mystification complète, et comme il en rira avec nous ! Mais il faut lui en garder le secret, Marie ; il ne faut pas que madame de Charmois, qui, entre nous, est une insupportable créature, et sa lourde Elvire, et ce mauvais plaisant de Marsillat, et avec eux toute la ville de Boussac, s’amusent aux dépens du noble et candide Arthur.



Sir Arthur.

— Il ne faut pas même en parler à maman, entends-tu, Guillaume ? reprit mademoiselle de Boussac. Notre mère est faible, à force d’être bonne ; elle a de l’amitié pour cette Charmois ; elle ne pourrait pas se défendre de lui raconter l’aventure.

— Il n’en faut parler à personne, pas même à Jeanne.

— C’est surtout à Jeanne qu’il faut cacher tout cela. Douée de raison, comme je la connais, on ne courrait aucun risque de lui mettre en tête le plus petit château en Espagne ; elle ne voudrait jamais y croire ; mais elle se trouverait, en présence de sir Arthur, dans une situation embarrassante pour elle et pour lui.

— Que lui dirons-nous donc, à cette pauvre enfant, pour lui expliquer l’envoi d’une lettre du monsieur Anglais ? car elle le saura par Claudie.

— Nous ne lui dirons presque rien, elle n’est pas curieuse ! Tiens, avant que cela fasse événement dans la maison, nous allons prévenir Jeanne que c’est une plaisanterie… Je la vois au fond du pré… Allons-y.

— Je n’irai pas, moi, dit Guillaume. Je préfère rester ici. Je ne saurais que dire à cette jeune fille.

— Eh bien ! Je vais mentir pour nous deux, reprit Marie, et elle courut vers Jeanne qui était sous un arbre, rêvant d’Ep-nell, de sa mère, des grandes bruyères où elle faisait pâturer ses chèvres, et des bonnes fades qui veillaient sur elle pour écarter les loups et l’esprit malfaisant des viviers.

— Jeanne, lui dit la jeune et gracieuse châtelaine, en passant familièrement son bras autour d’elle, notre ami M. Harley t’a écrit, mais sa lettre est une plaisanterie, une suite de notre poisson d’avril. Tu n’y comprendrais rien, car je n’y comprends pas grand’chose moi-même… M. Harley nous expliquera cela lui-même, quand il reviendra, dans quinze jours.