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JEANNE.



Comment, malheureuse… (Page 32.)

— Mais la saint Jean est passée, et la saint Martin n’est pas venue, Jeanne ! En attendant, faut demeurer en quelque part ?

— Mes amis, dit Guillaume, tranquillisez-vous, M. le curé et ma mère, madame de Boussac, se chargeront d’établir Jeanne convenablement.

— À la bonne heure, dit le grand-oncle Germain, qui parlait pour les autres : si la grand’dame de Boussac s’en charge, nous sommes contents.

Tous se retirèrent après avoir embrassé Jeanne, qui sanglotait, et le curé rentra suivi de Marsillat. La Grand’Gothe était restée avec un homme de très-mauvaise mine, qui jetait autour de lui des regards farouches et qui choqua beaucoup Guillaume par son affectation à garder son chapeau sur la tête quand tous s’étaient découverts devant le curé.

— À présent, dit la tante, il faut, Jeanne, faire tes compliments à M. le curé et à ton parrain ; et puis, tu vas venir, ma mignonne, parce que j’ai besoin de toi.

— Non, ma tante, répondit Jeanne avec une fermeté que Guillaume n’aurait pas attendue d’un caractère si humble et si confiant, je n’irai pas avec vous. Je sais ce que vous me voulez, et je ne veux pas vous obéir.

— Comment, malheureuse, s’écria la Gothe en élevant la voix, tu ne veux plus obéir à ta tante, qui t’a élevée, qui est ta plus proche parente, qui a perdu cette nuit tout ce qu’elle avait dans ta maison, qui va être obligée de mendier son pain avec une besace sur le dos, et qui n’a pas seulement une étable pour se retirer ?

— Écoutez, ma tante, répondit Jeanne, vous avez déjà choisi un endroit pour vous retirer. Je vous ai donné cette nuit l’argent que mon parrain m’avait fait présent. Je vous ai dit ce matin que je vous abandonnais tout ce qui a été sauvé du mobilier, et toutes les bêtes… Je ne garde rien pour moi que les habits que j’ai sur le corps.

— Eh ! qu’est-ce qui les mènera aux champs, les bêtes ? qu’est-ce qui les fera pâturer, en attendant qu’on puisse les conduire en foire ?

— C’est vous, ma tante ; vous êtes encore assez jeune et assez forte pour aller aux champs, et vous y meniez toujours votre chèvre, parce que vous ne vouliez pas me la confier.