Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
LA MARE AU DIABLE

gles pour compléter la modeste corbeille de la mariée. Le refus des matrones était irrévocable ; mais enfin les garçons se décidèrent à parler d’un beau mari à leur présenter, et elles répondirent en s’adressant à la mariée, et en lui chantant avec les hommes :

Ouvrez la porte, ouvrez,
Marie, ma mignonne,
C’est un beau mari qui vient vous chercher.
Allons, ma mie, laissons-les entrer.


Ah Germain, vous n’avez donc pas deviné que je vous aime ?
(Page 28.)

III.

LE MARIAGE.

Aussitôt le chanvreur tira la cheville de bois qui fermait la porte à l’intérieur : c’était encore, à cete époque, la seule serrure, connue dans la plupart des habitations de notre hameau. La bande du fiancé fit irruption dans la demeure de la fiancée, mais non sans combat ; car les garçons cantonnés dans la maison, même le vieux chanvreur et les vieilles commères, se mirent en devoir de garder le foyer. Le porteur de la broche, soutenu par les siens, devait arriver à planter le rôti dans l’âtre. Ce fut une véritable bataille, quoiqu’on s’abstînt de se frapper et qu’il n’y eût point de colère dans cette lutte. Mais on se poussait et on se pressait si étroitement, et il y avait tant d’amour-propre en jeu dans cet essai de forces musculaires, que les résultats pouvaient être plus sérieux qu’ils ne le paraissaient à travers les rires et les chansons. Le pauvre vieux chanvreur, qui se débattait comme un lion, fut collé à la muraille et serré par la foule, jusqu’à perdre la respiration. Plus d’un champion renversé fut foulé aux pieds involontairement, plus d’une main cramponnée à la broche fut ensanglantée. Ces jeux sont dangereux, et les accidents ont été assez graves dans les derniers temps pour que nos paysans aient résolu de laisser tomber en désuétude la cérémonie des livrées. Je crois que nous avons vu la dernière à la noce de Françoise Meillant, et encore la lutte ne fut-elle que simulée.

Cette lutte fut encore assez passionnée à la noce de Germain. Il y avait une question de point d’honneur de part et d’autre à envahir et à défendre le foyer de la