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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

sentit qu’il tremblait, et donna un coup d’éperon à son cheval, afin de le faire dérober et d’avoir un prétexte pour se reprendre.



En parlant ainsi, il ôta sa riche chaîne d’or et la lui passa au cou.
(Page 27.)

« Eh bien ! » dit une voix dans la tribune voisine. C’était la voix du vieux Zuccato ; elle semblait dire : « Vous perdez du temps, Valerio, et votre frère est en danger. » Du moins Valerio se l’imagina, car il avait l’esprit frappé. Il ramena son cheval, et fit la dixième bague.

Le Bozza pâlit. Une seule bague restait à faire pour qu’il fût vaincu ; mais elle était décisive, et Valerio était visiblement ému. Cependant l’orgueil combattait cette terreur secrète, et il eût gagné infailliblement si Vincent Bianchini, vovant son triomphe imminent, et se trouvant à portée de se faire entendre de lui, ne lui eût dit en lui lançant un regard de malédiction :

« Oui, joue, gagne, réjouis-toi, animal rampant ; tu ne tarderas pas à ramper sous les plombs avec ton frère ! »

Au moment où il prononçait ce dernier mot, Valerio enfilait la bague ; il devint pâle comme la mort, et la laissa tomber. Des huées partirent de tous côtés ; les compagnons et tous les partisans des Bianchini firent éclater une joie insolente et furieuse.

« Mon frère ! s’écria Valerio, mon frère sous les plombs ! Où est le misérable qui a dit cela ? Qui a vu mon frère, qui peut me dire où est mon frère ? »

Mais ses cris se perdirent dans le tumulte ; l’ordre était rompu ; le Bozza recevait le prix, et s’en allait porté en triomphe par l’école des Bianchini, à laquelle se joignirent en cortège tous les mécontents qu’avaient faits les refus d’admission dans la compagnie du Lézard. Mille grossiers quolibets, mille lazzi sanglants partaient de cette horde bruyante. Les dames effrayées se pressaient contre les échafauds pour laisser passer cette bacchanale. Les compagnons du Lézard voulaient tirer l’épée et courir sus. Les sbires et les hallebardiers avaient grand’peine à les retenir. La foule s’écoulait en plaignant le beau Valerio, auquel presque tout le monde, et l’on peut dire toutes les femmes, s’intéressaient vivement. La petite Maria pleurait, et de dépit jeta sa couronne sous les pieds des chevaux. Dans ce pêle-mêle bruyant, Valerio,