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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

loin. Sans cette brise céleste, point de chaleur, point de lumière, point de vie.



Le Tintoret et le vieux Zuccato.

— J’ai la prétention de n’être pas mort, s’écria Valerio, et pourtant ce vent d’orage n’a jamais soufflé sur moi. Je sens que l’étincelle de la vie jaillit à toute heure de ma poitrine et de mon cerveau. Mais pourvu que je sois échauffé par la flamme divine, et que je me sente vivre, peu m’importe que la lumière émane de moi ou d’autre chose. Toute lumière vient du foyer divin ; qu’est-ce que l’auréole d’une tête humaine ? Gloire au génie incréé ! La gloire de l’homme n’est pas plus en lui-même que le soleil n’est dans les eaux qui répètent son image.

— Peut-être ! dit Francesco en levant au ciel ses grands yeux bruns humides de larmes, Peut-être est-ce une folie et une vanité que de se croire quelque chose, parce qu’à force de se rapprocher de l’idéal par la pensée, on en est venu à concevoir le beau un peu mieux que les autres hommes. Et pourtant de quoi l’homme se glorifiera-t-il, si ce n’est de cela ?

— Pourquoi faut-il que l’homme se glorifie ? Pourvu qu’il jouisse, n’est-il pas assez heureux ?

— La gloire n’est-elle pas la plus sensible, la plus âpre, la plus ardente de ses jouissances ! » dit le Bozza d’un ton incisif en tournant ses regards vers Venise.

C’était l’heure où la reine de l’Adriatique, semblable à une beauté qui se couvre de diamants pour le bal, commençait à s’illuminer, et les guirlandes de feu se répétaient dans les ondes calmes et muettes, comme dans un miroir habitué à l’admirer.

« Tu fais abus des mots, ami Bartolomeo, s’écria le jeune Valerio en donnant un grand coup de rame dans l’eau phosphorescente, et en faisant jaillir un pâle éclair autour des flancs noirs de la barque. La plus ardente des jouissances humaines, c’est l’amour ; la plus sensible, c’est l’amitié ; la plus âpre, c’est en effet la gloire. Mais qui dit âpre dit poignant, terrible et dangereux.

— Mais ne peut-on dire aussi que cette âpre jouissance est la plus élevée de toutes ? reprit Francesco avec douceur.

— Je ne saurais le penser, répondit Valerio. Ce qu’il y a de plus doux, de plus noble et de plus bienfaisant dans la vie, c’est d’aimer, c’est de sentir et de concevoir le beau idéal. Voila pourquoi il faut aimer tout ce qui s’en