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FRANÇOIS LE CHAMPI.

d’attacher ce mouchoir aux barreaux de la fenêtre de Jeannette pour lui signifier qu’il l’aurait prise pour sa reine si elle avait voulu se montrer au souper.

Une fève, ce n’est pas grand’chose, se disait-il, c’est une petite marque d’honnêteté et d’amitie qui m’excusera de ne lui avoir pas su dire adieu.

Mais il entendit en lui-même comme une parole qui lui déconseillait de faire cette offrande, et qui lui remontrait qu’un homme ne doit point agir comme ces jeunes filles qui veulent qu’on les aime, qu’on pense à elles, et qu’on les regrette quand bien même elles ne se soucient pas d’y correspondre.

— Non, non, François, se dit-il en remettant son gage dans sa poche et en doublant le pas : il faut vouloir ce qu’on veut et se faire oublier quand on est décidé à oublier soi-même.

Et là-dessus il marcha grand train et il n’était pas à deux portées de fusil du moulin de Jean Vertaud qu’il voyait Madeleine devant lui, s’imaginant aussi entendre comme une petite voix faible qui l’appelait en aide. Et ce rêve le menait, et il pensait déjà voir le grand cormier, la fontaine, le pré Blanchet, l’écluse, le petit pont et Jeannie courant à son encontre, et de Jeannette Vertaud dans tout cela, il n’y avait rien qui le retint par sa blouse pour l’empêcher de courir.

Il alla si vite qu’il ne sentit pas la froidure et ne songea ni à boire, ni à manger, ni à souffler, tant qu’il n’eut pas laissé la grand’route et attrapé, par le dévers du chemin de Presles, la croix du Plessys.

Quand il fut là, il se mit à genoux et embrassa le bois de la croix avec l’amitié d’un bon chrétien qui retrouve une bonne connaissance. Après quoi il se mit à dévaler le grand carrouer qui est en forme de chemin, sauf qu’il est large comme un champ, et qui est bien le plus beau communal du monde, en belle vue, en grand air et en plein ciel, et en aval si courant que, par les temps de glace on y pourrait bien courir la poste même en charrette à bœufs, et s’en aller piquer une bonne tête dans la rivière qui est en bas et qui n’avertit personne.

François, qui se méfiait de la chose, dégalocha ses sabots à plus d’une fois ; il arriva sans culbute à la passerelle. Il laissa Montipouret sur sa gauche, non sans dire un beau bonjour au gros vieux clocher qui est l’ami à tout le monde, car c’est toujours lui qui se montre le premier à ceux qui reviennent au pays, et qui les tire d’embarras quand ils sont en faux chemin.

Pour ce qui est des chemins, je ne leur veux point de mal tant ils sont riants, verdissants et réjouissants à voir dans le temps chaud. Il y en a où l’on n’attrape pas de coups de soleil. Mais ceux-là sont les plus traîtres, parce qu’ils pourraient bien vous mener à Rome quand on croirait aller à Angibault. Heureusement que le bon clocher de Montipouret n’est pas chiche de se montrer, et qu’il n’y a pas une éclaircie où il ne passe le bout de son chapeau reluisant pour vous dire si vous tournez en bise ou en galerne.

Mais le champi n’avait besoin de vigie pour se conduire. Il connaissait si bien toutes les traînes, tous les bouts de sac, toutes les coursières, toutes les traques et traquettes, et jusqu’aux échaliers des bouchures, qu’en pleine nuit il aurait passé aussi droit qu’un pigeon dans le ciel, par le plus court chemin sur terre.

li était environ midi quand il vit le toit du moulin Cormouer au travers des branches défeuillées, et il fut content de connaître à une petite fumée bleue qui montait au-dessus de la maison, que le logis n’était point abandonné aux souris.

Il prit en sus du pré Blanchet pour arriver plus vite, ce qui fit qu’il ne passa pas rasibus la fontaine ; mais comme les arbres et les buissons n’avaient pas de feuilles, il vit reluire au soleil l’eau vive qui ne gèle jamais parce qu’elle est de source. Les abords du moulin étaient bien gelés en revanche, et si coulants qu’il ne fallait pas être maladroit pour courir sur les pierres et le talus de la rivière. Il vit la vieille roue du moulin, toute noire à force d’âge et de mouillage, avec des grandes pointes de glace qui pendaient aux alochons, menues comme des aiguilles.

Mais il manquait beaucoup d’arbres à l’entour de la maison, et l’endroit était bien changé. Les dettes du défunt Blanchet avaient joué de la cognée, et on voyait en mainte place, rouge comme sang de chrétien, le pied des grands vergnes fraîchement coupés. La maison paraissait mal entretenue au dehors ; le toit n’était guère bien couvert, et le four était moitié égrôlé par l’efforce de la gelée.

Et puis, ce qui était encore attristant, c’est qu’on n’entendait remuer dans toute la demeurance ni âme, ni corps, ni bêtes, ni gens ; sauf qu’un chien à poil gris emmêlé de noir et de blanc, de ces pauvres chiens de campagne que nous disons guarriots ou marrayés, sortit de l’huisserie et vint pour japper à l’encontre du champi ; mais il s’accoisa tout de suite et vint, en se traînant, se coucher dans ses jambes.

— Oui-da, Labriche, tu m’as reconnu ? lui dit François, et moi je n’aurais pas pu te remettre, car te voilà si vieux et si gâté que les côtes te sortent et que ta barbe est devenue toute blanche.

François devisait ainsi en regardant le chien, parce qu’il était là tout tracassé, comme s’il eût voulu gagner du temps avant que d’entrer dans la maison. Il avait eu tant de hâte jusqu’au dernier moment, et voilà qu’il avait peur, parce qu’il s’imaginait qu’il ne verrait plus Madeleine, qu’elle était absente ou morte à la place de son mari, qu’on lui avait donné une fausse nouvelle en lui annonçant le décès du meunier ; enfin il avait toutes les rêveries qu’on se met dans la tête quand on touche à la chose qu’on a le plus souhaitée.

XVI.

François poussa à la fin le barreau de la porte, et voilà qu’il vit devant lui, au lieu de Madeleine, une belle et jolie jeune fille, vermeille comme une aube de printemps et réveillée comme une linotte, qui lui dit d’un air avenant :

— Qu’est-ce que vous demandez, jeune homme ?

François ne la regarda pas longtemps, tant bonne fut-elle à regarder, et il jeta ses yeux tout autour de la chambre pour chercher la meunière. Et tout ce qu’il vit, c’est que les courtines de son lit étaient closes, et que, pour sûr, elle était dedans. Il ne pensa du tout répondre à la jolie fille qui était la sœur cadette du défunt meunier et avait nom Mariette Blanchet. Il s’en fut tout droit au lit jaune, et il écarta subtilement la courtine sans faire noise ni question ; et là il vit Madeleine Blanchet tout étendue, toute blême, tout assoupie et écrasée par la fièvre.

Il la regarda et l’examina longtemps sans remuer et sans mot dire : et malgré son chagrin de la trouver malade, malgré sa peur de la voir mourir, il était heureux d’avoir sa figure devant lui et de se dire : Je vois Madeleine.

Mais Mariette Blanchet le poussa tout doucement d’auprès le lit, referma la courtine, et, lui faisant signe d’aller avec elle auprès du foyer :

— Ah ça, le jeune homme, fit-elle, qui ête-vous et que demandez-vous ? Je ne vous connais point et vous n’êtes pas d’ici. Qu’y a-t-il pour vous obliger ?

Mais François n’entendit point ce qu’elle lui demandait, et, en lieu de lui donner une réponse, il lui fit des questions : Combien de temps madame Blanchet était malade ? si elle était en danger et si on soignait bien sa maladie.

À quoi la Mariette lui répondit qu’elle était malade depuis la mort de son mari, par la trop grande fatigue qu’elle avait eue de le soigner et de l’assister jour et nuit, qu’on n’avait pas fait venir encore le médecin, et qu’on irait le quérir si elle empirait ; et que quant à la bien soigner, elle qui parlait ne s’y épargnait point, comme c’était son devoir de le faire.

À cette parole, le champi l’envisagea entre les deux yeux et il n’eut besoin de lui demander son nom, car, outre qu’il savait que, vers le temps de son départ M. Blanchet avait mis sa sœur auprès de sa femme, il