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VALENTINE.

crète ; mais si vous le désirez, dit-il d’un ton ironique, elle se fera sentir davantage.



M. de Lansac parut bientôt noir de la tête aux pieds. (Page 43.)

Un brusque mouvement derrière la glace rendit Valentine aussi froide qu’une statue de marbre. Elle regarda son mari d’un air effaré ; mais il ne parut pas s’être aperçu de ce qui causait sa frayeur, et il continua :

— Nous en reparlerons, ma belle ; je suis trop homme du monde pour importuner des témoignages de mon affection une personne qui la repousserait. Ma tâche d’amitié et de protection envers vous sera donc remplie selon vos désirs et jamais au delà ; car, dans le temps où nous vivons, les maris sont particulièrement insupportables pour être trop fidèles à leurs devoirs, que vous en semble ?

— Je n’ai point assez d’expérience pour vous répondre.

— Fort bien répondu. Maintenant, ma chère belle, je vais vous parler de vos devoirs envers moi. Ce ne sera pas galant ; aussi, comme j’ai horreur de tout ce qui ressemble au pédagogisme, ce sera la seule et dernière fois de ma vie. Je suis convaincu que le sens de mes préceptes ne sortira jamais de votre mémoire. Mais comme vous tremblez ! quel enfantillage ! Me prenez-vous pour un de ces rustres antédiluviens qui n’ont rien de plus agréable à mettre sous les yeux de leurs femmes que le joug de la fidélité conjugale ? Croyez-vous que je vais vous prêcher comme un vieux moine, et enfoncer dans votre cœur les stylets de l’inquisition pour vous demander l’aveu de vos secrètes pensées ? — Non, Valentine, non, reprit-il après une pause pendant laquelle il la contempla froidement ; je sais mieux ce qu’il faut vous dire pour ne pas vous troubler. Je ne réclamerai de vous que ce que je pourrai obtenir sans contrarier vos inclinations et sans faire saigner votre cœur. Ne vous évanouissez pas, je vous en prie, j’aurai bientôt tout dit. Je ne m’oppose nullement à ce que vous viviez intimement avec une famille de votre choix qui se rassemble souvent ici, et dont les traces peuvent attester la présence récente…

Il prit sur la lable un album de dessins sur lequel était gravé le nom de Bénédict, et le feuilleta d’un air d’indifférence.

— Mais, ajouta-t-il en repoussant l’album d’un air ferme et impérieux, j’attends de votre bon sens que nul conseil étranger n’intervienne dans nos affaires privées, et ne tente de mettre obstacle à la gestion de nos pro-