Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
LA MARE AU DIABLE

fesse, d’après la bonne renommée qu’elle a, d’après l’honnêteté de sa famille et les bonnes affaires où je sais qu’ils sont.



Germain, lui dit un jour son beau-père, il faut pourtant te décider à reprendre femme. (Page 6.)

— Je vois, père Maurice, que vous tenez un peu aux bonnes affaires.

— Sans doute, j’y tiens. Est-ce que tu n’y tiens pas aussi ?

— J’y tiens si vous voulez, pour vous faire plaisir ; mais vous savez que, pour ma part, je ne m’embarrasse jamais de ce qui me revient ou ne me revient pas dans nos profits. Je ne m’entends pas à faire des partages, et ma tête n’est pas bonne pour ces choses-là. Je connais la terre, je connais les bœufs, les chevaux, les attelages, les semences, la battaison, les fourrages. Pour les moutons, la vigne, le jardinage, les menus profits et la culture fine, vous savez que ça regarde votre fils et que je ne m’en mêle pas beaucoup. Quant à l’argent, ma mémoire est courte, et j’aimerais mieux tout céder que de dispuler sur le tien et le mien. Je craindrais de me tromper et de réclamer ce qui ne m’est pas dû, et si les affaires n’étaient pas simples et claires, je ne m’y retrouverais jamais.

— C’est tant pis, mon fils, et voilà pourquoi j’aimerais que tu eusses une femme de tête pour me remplacer quand je n’y serai plus. Tu n’as jamais voulu voir clair dans nos comptes, et ça pourrait t’amener du désagrément avec mon fils, quand vous ne m’aurez plus pour vous mettre d’accord et vous dire ce qui vous revient à chacun.

— Puissiez-vous vivre longtemps, père Maurice ! Mais ne vous inquiétez pas de ce qui sera après vous ; jamais je ne me disputerai avec votre fils. Je me fie à Jacques comme à vous-même, et comme je n’ai pas de bien à moi, que tout ce qui peut me revenir provient de votre fille et appartient à nos enfants, je peux être tranquille et vous aussi ; Jacques ne voudrait pas dépouiller les enfants de sa sœur pour les siens, puisqu’il les aime quasi autant les uns que les autres.

— Tu as raison en cela, Germain. Jacques est un bon fils, un bon frère et un homme qui aime la vérité. Mais Jacques peut mourir avant toi, avant que vos enfants soient élevés, et il faut toujours songer, dans une famille, à ne pas laisser des mineurs sans un chef pour les bien conseiller et régler leurs différends. Autrement les gens