Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/135

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LA PETITE FADETTE.

et commençant à flairer la nourriture, ayant bon œil, et quasiment toute désenflée. Une autre fois, un poulain fut mordu de la vipère, et Landry, suivant toujours les enseignements de la petite Fadette, le sauva bien lestement. Enfin, il put essayer aussi le remède contre la rage sur un chien de la Priche, qui fut guéri et ne mordit personne. Comme Landry cachait de son mieux ses accointances avec la petite Fadette, il ne se vanta pas de sa science, et on n’attribua la guérison de ses bêtes qu’aux grands soins qu’il leur avait donnés. Mais le père Caillaud, qui s’y entendait aussi, comme tout bon fermier ou métayer doit le faire, s’étonna en lui-même, et dit :



Assez ! Landry, assez ! on dirait que tu m’embrasses de colère.
(Page 27.)

— Le père Barbeau n’a pas de talent pour le bestiau, et mêmement il n’a point de bonheur ; car il en a beaucoup perdu l’an dernier, et ce n’était pas la première fois. Mais Landry y a la main très-heureuse, et c’est une chose avec laquelle on vient au monde. On l’a ou on ne l’a pas ; et, quand même on irait étudier dans les écoles comme les artistes, cela ne sert de rien si on n’y est adroit de naissance. Or je vous dis que Landry est adroit, et que son idée lui fait trouver ce qui convient. C’est un grand don de la nature qu’il a reçu, et ça lui vaudra mieux que du capital pour bien conduire une ferme.

Ce que disait là le père Caillaud n’était pas d’un homme crédule et sans raison, seulement il se trompait en attribuant un don de nature à Landry, Landry n’en avait pas d’autre que celui d’être soigneux et entendu à appliquer les recettes de son enseignement. Mais le don de nature n’est point une fable, puisque la petite Fadette l’avait, et qu’avec si peu de leçons raisonnables que sa grand’mère lui avait données, elle découvrait et devinait comme qui invente, les vertus que le bon Dieu a mises dans certaines herbes et dans certaines manières de les employer. Elle n’était point sorcière pour cela, elle avait raison de s’en défendre ; mais elle avait l’esprit qui observe, qui fait des comparaisons, des remarques, des essais ; et cela c’est un don de nature, on ne peut pas le nier. Le père Caillaud poussait la chose un peu plus loin. Il pensait que tel bouvier ou tel laboureur a la main plus ou moins bonne, et que, par la seule vertu de sa présence dans l’étable, il fait du bien ou du mal aux animaux. Et pourtant comme il y a toujours un peu de vrai dans les plus