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LA PETITE FADETTE.

fadet, la Fadette n’est pas loin. Et il passa le gué sans avoir peur, sans se tromper, et il alla jusqu’à la maison de la mère Fadet, furetant et regardant de tous côtés. Mais il y resta un bon moment sans voir de lumière et sans entendre aucun bruit. Tout le monde était couché. Il espéra que le grelet, qui sortait souvent le soir après que sa grand’mère et son sauteriot étaient endormis, vaguerait quelque part aux environs. Il se mit à vaguer de son côté. Il traversa la Joncière, il alla à la carrière du Chaumois, sifflant et chantant pour se faire remarquer ; mais il ne rencontra que le blaireau qui fuyait dans les chaumes, et la chouette qui sifflait sur son arbre. Force lui fut de rentrer sans avoir pu remercier la bonne amie qui l’avait si bien servi.

XXII.

Toute la semaine se passa sans que Landry put rencontrer la Fadette, de quoi il était bien étonné et bien soucieux. — Elle va croire encore que je suis ingrat, pensait-il, et pourtant, si je ne la vois point, ce n’est pas faute de l’attendre et de la chercher. Il faut que je lui aie fait de la peine en l’embrassant quasi malgré elle dans la carrière, et pourtant ce n’était pas à mauvaise intention, ni dans l’idée de l’offenser.

Et il songea durant cette semaine plus qu’il n’avait songé dans toute sa vie ; il ne voyait pas clairement dans sa propre cervelle, mais il était pensif et agité, et il était obligé de se forcer pour travailler ; car, ni les grands boeufs, ni la charrue reluisante, ni la belle terre rouge, humide de la fine pluie d’automne, ne suffisaient plus à ses contemplations et à ses rêvasseries.

Il alla voir son besson le jeudi soir, et il le trouva soucieux comme lui. Sylvinet était un caractère différent du sien, mais pareil quelquefois par le contre-coup. On aurait dit qu’il devinait que quelque chose avait troublé la tranquillité de son frère, et pourtant il était loin de se douter de ce que ce pouvait être. Il lui demanda s’il avait fait la paix avec Madelon, et, pour la première fois, en lui disant que oui, Landry lui fit volontairement un mensonge. Le fait est que Landry n’avait pas dit un mot à Madelon, et qu’il pensait avoir le temps de le lui dire ; rien ne le pressait.

Enfin vint le dimanche, et Landry arriva des premiers à la messe. Il entra avant qu’elle fût sonnée, sachant que la petite Fadette avait coutume d’y venir dans ce moment-là, parce qu’elle faisait toujours de longues prières, dont un chacun se moquait. Il vit une petite, agenouillée dans la chapelle de la sainte Vierge, et qui, tournant le dos, cachait sa figure dans ses mains pour prier avec recueillement. C’était bien la posture de la petite Fadette, mais ce n’était ni son coiffage, ni sa tournure, et Landry ressortit pour voir s’il ne la trouverait point sous le porche, qu’on appelle chez nous une guenillière, à cause que les gredots peilleroux, qui sont mendiants loqueteux, s’y tiennent pendant les offices.

Les guenilles de la Fadette furent les seules qu’il n’y vit point, il entendit la messe sans l’apercevoir, et ce ne fut qu’à la préface que, regardant encore cette fille qui priait si dévotement dans la chapelle, il lui vit lever la tête et reconnut son grelet, dans un habillement et un air tout nouveaux pour lui. C’était bien toujours son pauvre dressage, son jupon de droguet, son devanteau rouge et sa coiffe de linge sans dentelle ; mais elle avait reblanchi, recoupé et recousu tout cela dans le courant de la semaine. Sa robe était plus longue et tombait plus convenablement sur ses bas, qui étaient bien blancs, ainsi que sa coiffe, laquelle avait pris la forme nouvelle et s’attachait gentillement sur ses cheveux noirs bien lissés ; son fichu était neuf et d’une jolie couleur jaune doux qui faisait valoir sa peau brune. Elle avait aussi rallongé son corsage, et, au lieu d’avoir l’air d’une pièce de bois habillée, elle avait la taille fine et ployante comme le corps d’une belle mouche à miel. De plus, je ne sais pas avec quelle mixture de fleurs ou d’herbes elle avait lavé pendant huit jours son visage et ses mains, mais sa figure pâle et ses mains mignonnes avaient l’air aussi net et aussi doux que la blanche épine du printemps.

Landry, la voyant si changée, laissa tomber son livre d’heures, et, au bruit qu’il fit, la petite Fadette se retourna tout à fait et le regarda, tout en même temps qu’il la regardait. Et elle devint un peu rouge, pas plus que la petite rose des buissons ; mais cela la fit paraître quasi belle, d’autant plus que ses yeux noirs, auxquels jamais personne n’avait pu trouver à redire, laissèrent échapper un feu si clair qu’elle en parut transfigurée. Et Landry pensa encore : Elle est sorcière ; elle a voulu devenir belle de laide qu’elle était, et la voilà belle par miracle. Il en fut comme transi de peur, et sa peur ne l’empêchait pourtant point d’avoir une telle envie de s’approcher d’elle et de lui parler, que, jusqu’à la fin de la messe, le cœur lui en sauta d’impatience.

Mais elle ne le regarda plus, et, au lieu de se mettre à courir et à folâtrer avec les enfants après sa prière, elle s’en alla si discrètement qu’on eut à peine le temps de la voir si changée et si amendée. Landry n’osa point la suivre, d’autant que Sylvinet ne le quittait point des yeux ; mais, au bout d’une heure, il réussit à s’échapper, et, cette fois, le cœur le poussant et le dirigeant, il trouva la petite Fadette qui gardait sagement ses bêtes dans le petit chemin creux qu’on appelle la Traine-au-Gendarme, parce qu’un gendarme du roi y a été tué par les gens de la Cosse, dans les anciens temps, lorsqu’on voulait forcer le pauvre monde à payer la taille et à faire la corvée, contrairement aux termes de la loi, qui était déjà bien assez dure, telle qu’on l’avait donnée.

XXIII.

Comme c’était dimanche, la petite Fadette ne cousait ni ne filait en gardant ses ouailles. Elle s’occupait à un amusement tranquille que les enfants de chez nous prennent quelquefois bien sérieusement. Elle cherchait le trèfle à quatre feuilles, qui se trouve bien rarement et qui porte bonheur à ceux qui peuvent mettre la main dessus.

— L’as-tu trouvé, Fanchon ? lui dit Landry aussitôt qu’il fut à côté d’elle.

— Je l’ai trouvé souvent, répondit-elle ; mais cela ne porte point bonheur comme on croit, et rien ne me sert d’en avoir trois brins dans mon livre.

Landry s’assit auprès d’elle, comme s’il allait se mettre à causer. Mais voilà que tout d’un coup il se sentit plus honteux qu’il ne l’avait jamais été auprès de Madelon, et que, pour avoir eu intention de dire bien des choses, il ne put trouver un mot.

La petite Fadette prit honte aussi, car si le besson ne lui disait rien, du moins il la regardait avec des yeux étranges. Enfin, elle lui demanda pourquoi il paraissait étonné en la regardant.

— À moins, dit-elle, que ce ne soit à cause que j’ai arrangé mon coiffage. En cela j’ai suivi ton conseil, et j’ai pensé que, pour avoir l’air raisonnable, il fallait commencer par m’habiller raisonnablement. Aussi, je n’ose pas me montrer, car j’ai peur qu’on ne m’en fasse encore reproche, et qu’on ne dise que j’ai voulu me rendre moins laide sans y réussir.

— On dira ce qu’on voudra, dit Landry, mais je ne sais pas ce que tu as fait pour devenir jolie ; la vérité est que tu l’es aujourd’hui, et qu’il faudrait se crever les yeux pour ne point le voir.

— Ne te moque pas, Landry, reprit la petite Fadette. On dit que la beauté tourne la tête aux belles, et que la laideur fait la désolation des laides. Je m’étais habituée à faire peur, et je ne voudrais pas devenir sotte en croyant faire plaisir. Mais ce n’est pas de cela que tu venais me parler, et j’attends que tu mu dises si la Madelon t’a pardonné.

— Je ne viens pas pour te parler de la Madelon. Si elle m’a pardonné, je n’en sais rien et ne m’en informe point. Seulement, je sais que tu lui as parlé, et si bien parlé que je t’en dois grand remerciement.