Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LA PETITE FADETTE.


XVI.

Et puis, quand la petite Fadette passait auprès d’eux, ils lui tiraient sa manche, ou avançaient leur pied pour la faire tomber, et il y en avait, des plus jeunes s’entend, et des moins bien appris, qui frappaient sur l’orillon de sa coiffe et la lui faisaient virer d’une oreille à l’autre, en criant : — Au grand calot, au grand calot à la mère Fadet !

Le pauvre grelet allongea cinq ou six tapes à droite ou à gauche ; mais tout cela ne servit qu’à attirer l’attention de son côté ; et les personnes de l’endroit commencèrent à se dire : — Mais voyez donc notre grelette, comme elle a de la chance aujourd’hui, que Landry Barbeau la fait danser à tout moment ! C’est vrai qu’elle danse bien, mais la voilà qui fait la belle fille et qui se carre comme une agasse. — Et parlant à Landry, il y en eut qui dirent :

— Elle t’a donc jeté un sort, mon pauvre Landry, que tu ne regardes qu’elle ? ou bien c’est que tu veux passer sorcier, et que bientôt nous te verrons mener les loups aux champs.

Landry fut mortifié ; mais Sylvinet, qui ne voyait rien de plus excellent et de plus estimable que son frère, le fut encore davantage de voir qu’il se donnait en risée à tant de monde, et à des étrangers qui commençaient aussi à s’en mêler, à faire des questions, et à dire : « C’est bien un beau gars : mais, tout de même, il a une drôle d’idée de se coitfer de la plus vilaine qu’il n’y ait pas dans toute l’assemblée. » La Madelon vint, d’un air de triomphe, écouter toutes ces moqueries, et, sans charité, elle y mêla son mot : — Que voulez-vous ? dit-elle ; Landry est encore un petit enfant, et, à son âge, pourvu qu’on trouve à qui parler, on ne regarde pas si c’est une tête de chèvre ou une figure chrétienne.

Sylvinet prit alors Landry par le bras, en lui disant tout bas : — Allons-nous-en, frère, ou bien il faudra nous fâcher : car on se moque, et l’insulte qu’un fait à la petite Fadette revient sur toi. Je ne sais pas quelle idée t’a pris aujourd’hui de la faire danser quatre ou cinq fois de suite. On dirait que tu cherches le ridicule ; finis cet amusement-là, je t’en prie. C’est bon pour elle de s’exposer aux duretés et au mépris du monde. Elle ne cherche que cela, et c’est son goût : mais ce n’est pas le nôtre. Allons-nous-en, nous reviendrons après l’Angelus, et tu feras danser la Madelon qui est une fille bien comme il faut. Je t’ai toujours dit que tu aimais trop la danse, et que cela te ferait faire des choses sans raison.

Landry le suivit deux ou trois pas, mais il se retourna en entendant une grande clameur ; et il vit la petite Fadette que Madelon et les autres filles avaient livrée aux moqueries de leurs galants, et que les gamins, encouragés par les risées qu’on en faisait, venaient de décoiffer d’un coup de poing. Elle avait ses grands cheveux noirs qui pendaient sur son dos, et se débattait tout en colère et en chagrin ; car, cette fois, elle n’avait rien dit qui lui méritât d’être tant maltraitée, et elle pleurait de rage, sans pouvoir rattraper sa coiffe qu’un méchant galopin emportait au bout d’un bâton.

Landry trouva la chose bien mauvaise, et, son bon cœur se soulevant contre l’injustice, il attrapa le gamin, lui ôta la coiffe et le bâton, dont il lui appliqua un bon coup dans le derrière, revint au milieu des autres qu’il mit en fuite, rien que de se montrer, et, prenant le pauvre grelet par la main, il lui rendit sa coiffure.

La vivacité de Landry et la peur des gamins firent grandement rire les assistants. On applaudissait à Landry ; mais la Madelon tournant la chose contre lui, il y eut des garçons de l’âge de Landry, et même de plus âgés, qui eurent l’air de rire à ses dépens.

Landry avait perdu sa honte ; il se sentait brave et fort, et un je ne sais quoi de l’homme fait lui disait qu’il remplissait son devoir en ne laissant pas maltraiter une femme, laide ou belle, petite ou grande, qu’il avait prise pour sa danseuse, au vu et au su de tout le monde. Il s’aperçut de la manière dont on le regardait du côté de Madelon, et il alla tout droit vis-à-vis des Aladenise et des Alaphlippe, en leur disant :

— Eh bien ! vous autres, qu’est-ce que vous avez à en dire ? S’il me convient, à moi, de donner attention à cette fille-là, en quoi cela vous offense-t-il ? Et si vous en êtes choqués, pourquoi vous détournez-vous pour le dire tout bas ? Est-ce que je ne suis pas devant vous ? est-ce que vous ne me voyez point ? On a dit par ici que j’étais encore un petit enfant ; mais il n’y a pas par ici un homme ou seulement un grand garçon qui me l’ait dit en face ! J’attends qu’on me parle, et nous verrons si l’on molestera la fille que ce peitit enfant fait danser.

Sylvinet n’avait pas quitté son frère, et, quoiqu’il ne l’approuvât point d’avoir soulevé cette querelle, il se tenait tout prêt à le soutenir. Il y avait là quatre ou cinq grands jeunes gens qui avaient la tête de plus que les bessons ; mais, quand ils les virent si résolus et comme, au fond, se battre pour si peu était à considérer, ils ne soufflèrent mot et se regardèrent les uns les autres, comme pour se demander lequel avait eu l’intention de se mesurer avec Landry. Aucun ne se présenta, et Landry, qui n’avait point lâché la main de la Fadette, lui dit :

— Mets vite ton coiffage, Fanchon, et dansons, pour que je voie si on viendra te l’ôter.

— Non, dit la petite Fadette en essuyant ses larmes, j’ai assez dansé pour aujourd’hui, et je te tiens quitte du reste.

— Non pas, non pas, il faut danser encore, dit Landry, qui était tout en feu de courage et de fierté. Il ne sera pas dit que tu ne puisses pas danser avec moi sans être insultée.

Il la fit danser encore, et personne ne lui adressa un mot ni un regard de travers. La Madelon et ses soupirants avaient été danser ailleurs. Après cette bourrée, la petite Fadette dit tout bas à Landry :

— À présent, c’est assez, Landry. Je suis contente de toi, et je te rends ta parole. Je retourne à la maison. Danse avec qui tu voudras ce soir.

Et elle s’en alla reprendre son petit frère qui se battait avec les autres enfants, et s’en alla si vite que Landry ne vit pas seulement par où elle se retirait.

XVII.

Landry alla souper chez lui avec son frère ; et, comme celui-ci était bien soucieux de tout ce qui s’était passé, il lui raconta comme quoi il avait eu maille à partir la veille au soir avec le feu follet, et comment la petite Fadette l’en ayant délivré, soit par courage, soit par magie, elle lui avait demandé pour sa récompense de la faire danser sept fois à la fête de Saint-Andoche. Il ne lui parla point du reste, ne voulant jamais lui dire quelle peur il avait eue de le trouver noyé l’an d’auparavant, et en cela il était sage, car ces mauvaises idées que les enfants se mettent quelquefois en tête y reviennent bientôt, si l’on n’y fait attention et si on leur en parle.

Sylvinet approuva son frère d’avoir tenu sa parole, et lui dit que l’ennui que cela lui avait attiré augmentait d’autant l’estime qui lui en était due. Mais, tout en s’effrayant du danger que Landry avait couru dans la rivière, il manqua de reconnaissance pour la petite Fadette. Il avait tant d’éloignement pour elle qu’il ne voulut point croire qu’elle l’eût trouvé là par hasard, ni qu’elle l’eût secouru par bonté.

— C’est elle, lui dit-il, qui avait conjuré le fadet pour te troubler l’esprit et te faire noyer ; mais Dieu ne l’a pas permis, parce que tu n’étais pas et n’as jamais été en état de péché mortel. Alors ce méchant grelet, abusant de ta bonté et de ta reconnaissance, t’a fait faire une promesse qu’elle savait bien fâcheuse et dommageable pour toi. Elle est très-mauvaise, cette fille-là : toutes les sorcières aiment le mal, il n’y en a pas de bonnes. Elle savait bien qu’elle te brouillerait avec la Madelon et les plus honnêtes connaissances. Elle voulait aussi te faire