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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

hier en passant à San-Fantino, et j’en ai été surpris ; car je ne croyais pas le Bozza capable d’un tel dessin. Son élève, le jeune Antonio, est plein de dispositions, et d’ailleurs Bartolomeo retouche son essai si minutieusement, qu’il n’y laissera pas une tache. Il dirige aussi les deux autres ; et les Bianchini sont des copistes si serviles, qu’avec un bon maître ils sont capables de bien dessiner par instinct d’imitation, sans comprendre le dessin.



Puis la petite Maria vint jouer avec les boucles argentées de sa barbe. (Page 39.)

— Mais enfin, maître, dit Valerio troublé, vous ne voudrez pas donner le prix à des charlatans, au détriment des vrais serviteurs de l’art ? Messer Tiziano ne le voudra pas non plus ?

— Mon cher enfant, dans cette lutte, nous ne sommes pas appelés à juger les hommes, mais les œuvres ; et, pour plus d’intégrité, il est probable que les noms seront mis hors de cause. Tu sais, d’ailleurs, que l’usage est de prononcer sans avoir vu la signature d’aucun ouvrage. À cet effet, on la couvre d’une bande de papier avant de nous présenter le tableau. Cet usage est un symbole de l’impartialité qui doit dicter nos arrêts. Si le Bozza te surpasse, mon cœur en saignera, mais ma bouche dira la vérité. Si les Bianchini triomphent, je penserai que l’imposture l’emporte sur la loyauté, le vice sur la vertu ; mais je ne suis pas l’inquisiteur, et je n’ai à juger que des compartiments d’émail plus ou moins bien arrangés dans un cadre.

— Je le sais bien, maître, reprit Valerio un peu piqué ; mais pourquoi pensez-vous que l’école des Zuccati ne vous forcera pas à lui accorder la palme ? C’est bien ainsi qu’elle l’entend. Qui vous demande une indulgence coupable ? Nous n’en voudrions pas, en supposant que nous pussions l’obtenir de vous.

— Tu me parais si découragé, mon pauvre Valerio, et tu as un si énorme travail à faire, si ton frère ne se rétablit pas promptement, qu’en vérité je suis effrayé de la position où tu te trouves. D’ailleurs, Francesco malade, votre école existe-t-elle ? Tu es un maître habile ; tu es doué d’une facilité merveilleuse, et l’inspiration semble venir au-devant de toi. Mais n’as-tu pas toujours tourné le dos à la gloire ? N’es-tu pas insensible aux applaudissements de la foule ? Ne préfères-tu pas les enivrements du plaisir, ou le dolce farniente, aux titres, aux richesses et aux louanges ? Tu es un homme admirable-