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FRANÇOIS LE CHAMPI.

jolie femme ? Pour moi elle est bien assez jolie comme elle est ; mais, à vous dire vrai, je n’ai jamais songé à cela. Qu’est-ce que ça peut faire à mon amitié ? Elle serait plus laide que le diable que je n’y aurais jamais fait attention.



Et là, il vit Madeleine Blanchet tout étendue, toute blême… (Page 27.)

— Mais enfin, vous pouvez bien dire environ l’âge qu’elle a ?

— Attendez ! son garçon avait cinq ans de moins que moi. Eh bien ! c’est une femme qui n’est pas vieille, mais qui n’est pas bien jeune, c’est approchant comme…

— Comme moi ? dit la Jeannette en se forçant un peu pour rire. En ce cas, si elle devient veuve, il ne sera plus temps pour elle de se remarier, pas vrai ?

— Ça dépend, répondit François. Si son mari ne mange pas le tout et qu’il lui reste du bien, elle ne manquera pas d’épouseurs. Il y a des gars qui, pour de l’argent, épouseraient aussi bien leur grand’tante que leur petite-nièce.

— Et vous ne faites pas d’estime de ceux qui se marient pour de l’argent ?

— Ça ne serait toujours pas mon idée, répondit François.

Le champi, tout simple de cœur qu’il était, n’était pas si simple d’esprit, qu’il n’eût fini par comprendre ce qu’on lui insinuait, et ce qu’il disait là, il ne le disait pas sans intention. Mais la Jeannette ne se le tint pas pour dit, et elle s’énamoura de lui un peu plus. Elle avait été très-courtisée sans se soucier d’aucun galant. Le premier qui lui convînt fut celui qui lui tournait le dos, tant les femmes ont l’esprit bien fait.

François vit bien, par les jours ensuivants, qu’elle avait du souci, qu’elle ne mangeait quasiment point, et que quand il n’avait point l’air de la voir, elle avait toujours les yeux attachés sur lui. Cette fantaisie le chagrina. Il avait du respect pour cette bonne fille, et il voyait bien qu’à faire l’indifférent, il la rendrait plus amoureuse. Mais il n’avait point de goût pour elle, et s’il l’eût prise, c’eût été par raison et par devoir plus que par amitié.

Cela lui fit songer qu’il n’avait pas pour longtemps à rester chez Jean Vertaud, parce que, pour tantôt ou pour plus tard, cette affaire-là amènerait quelque chagrin ou quelque fâcherie.

Mais il lui arriva, dans ce temps-là, une chose bien particulière, et qui faillit à changer toutes ses intentions.