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JEANNE.



Et vous aussi, monsieur Marsillat, vous n’êtes pas méchant. (Page 34.)

— Jeanne a raison, dit le curé, vous n’avez pas besoin de ses services, Gothe, et elle a fait pour vous plus qu’elle ne pouvait, plus qu’elle ne devait peut-être. Elle est majeure, vous n’avez aucun droit sur elle ; laissez-la donc libre de ses actions.

— Ainsi elle m’abandonne, s’écria la tante, jurant, piaillant, déclamant, et feignant de se désespérer. Une enfant que j’ai élevée, que j’ai amusée et portée aux champs quand elle était haute comme mon sabot ! Une fille pour qui je me serais sacrifiée, et pour qui je ne me suis pas mariée, afin de lui laisser mon bien !

— Mariez-vous, mariez-vous si le cœur vous en dit, ma tante, dit Jeanne avec douceur. — Je n’ai jamais entendu parler que vous vous étiez privée de ça pour moi.

— Eh bien ! oui, je me marierai ! J’ai encore un peu de bien, va ! et ça n’est pas toi qui en hériteras, car je testamenterai en faveur de mon homme.

— Mariez-vous donc, et testez comme vous voudrez, dit le curé, en haussant les épaules.

— C’est toujours bien cruel, hurla la mégère, d’être abandonnée comme ça ! Ah ! si ma pauvre sœur avait prévu ça, Jeanne, elle t’aurait refusé sa bénédiction sur le lit de la mort !

Ces paroles barbares firent sur Jeanne une profonde impression. Elle tressaillit, hésita, fit un mouvement pour se jeter au cou de sa tante, afin de l’apaiser ; mais, rencontrant le visage sinistre de l’homme qui était resté derrière elle, dans le fond de la cheminée, elle s’arrêta. — Écoutez, tante, dit-elle, si ma maison n’avait pas brûlé, je ne me serais jamais séparée de vous. Si j’avais le moyen d’en faire bâtir une autre, je vous dirais de venir y demeurer avec moi ; mais ça ne se peut pas. Voilà mon parrain qui veut me récompenser de mes pertes ; mais j’ai des raisons, de très-bonnes raisons pour refuser la charité que mon parrain veut me faire.

— Lesquelles, Jeanne ? demanda vivement Guillaume.

— Je vous dirai cela à vous, plus tard, mon parrain. À présent je dis à ma tante que je veux me louer ; c’est mon devoir ; et si elle n’est pas heureuse avec ce qu’elle a, je lui donnerai l’argent que je gagnerai. Mais tant qu’à la suivre, ça ne sera jamais, j’en jure ma foi du baptême.