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JEANNE.

lente acquisition. C’est le meilleur sujet de ma paroisse, et je ne peux pas trop vous la recommander.



La courageuse et robuste fille portait le cadavre. (Page 27.)

— Voilà donc de quoi il retourne ? pensa Marsillat. À la bonne heure ! je dresserai mes batteries en conséquence. Et ce bon curé, qui, par vertu, travaille avec zèle à éloigner de ses yeux un objet funeste à son repos, et qui la pousse dans les bras de Guillaume ! Oh ! prêtres, vous voilà bien ! que les autres se damnent, vous vous en lavez les mains, pourvu que vous sauviez votre âme. — Cher curé, dit-il, je vous approuve de donner ce conseil à mon ami Guillaume. Certainement, Jeanne, sous l’aile d’un tel mentor, ne sera plus en butte aux séductions des jeunes gens de votre village. Mais ne craignez-vous rien pour M. de Boussac, dans tout cet arrangement chrétien et paternel ?

— Expliquez-vous, dit froidement Guillaume ; je n’ai pas assez de perspicacité pour deviner vos jeux d’esprit au premier mot.

— Je ne puis m’expliquer là-dessus qu’avec le curé, mon père spirituel, mon ami doux ! comme dit Panurge. Avez-vous lu Rabelais, monsieur le curé ?

— Non, Monsieur.

— Tant pis pour vous ; vous y auriez appris, mon cher curé, qu’il ne faut pas enfermer le loup dans la bergerie.

— Je ne vous entends point.

— Allons ! est-ce que vous ne savez pas que Jeanne est sorcière, et que si elle veut ensorceler mon ami Guillaume, elle n’aura que trois mots à dire à sa bonne amie la Grand’Fade, la reine des fées, dont elle est la favorite, comme chacun sait ?

— Je ne sais pas comment vous avez le cœur de plaisanter sur le compte d’une honnête et intéressante créature qui vient de perdre sa mère, et qui n’a jamais donné lieu, par sa conduite, à ce qu’un libertin comme vous lui fasse l’honneur de s’occuper d’elle.

— Ah ! curé ! si vous vous mettez à dire de gros mots, je vous rappellerai à l’esprit de charité. Est-ce que je m’occupe de vos paroissiennes ? Il faudrait être bien fin pour les détourner de la bonne voie où vous les conduisez ; et d’ailleurs est-ce que je manque de commisération et d’estime pour Jeanne, en disant que sa mère lui a transmis des secrets ?…

Des cris aigus et un grand mouvement de sabots qui se firent entendre dans la cuisine éveillèrent l’attention