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LES MISSISSIPIENS.



Assez ! maman, assez !… (Page 24.)

JULIE, parcourant la lettre.

Il vous appelle sa fille ! Il vous tutoie !… Il me semble que c’est le langage de la passion, si ce n’est celui de la folie.

LOUISE.

Mon Dieu ! maman, vous me faites trembler ! Qu’y a-t-il donc dans cette lettre ? Est-ce que je ne l’aurais pas comprise ?

JULIE.

La lettre est fort tendre, à coup sûr ; mais si je t’en montrais une de cette même écriture et de ce même style, plus tendre encore, adressée à une autre femme que toi ?

LOUISE, pâlissant.

Oh ! mon Dieu ! je dirais que je me suis trompée, qu’il ne m’aime pas.

JULIE.

Cependant il te demande en mariage ! Comment expliquer ceci ! Tiens… regarde !

(Elle tire une lettre de sa poche.)
LOUISE, toute tremblante, ouvre la lettre convulsivement, et lit :

« Votre indifférence me tuera… Vous ne m’aimez pas. Vous croyez que j’en aime une autre…. (Sa voix est étouffée.)

JULIE, prend la lettre et la continue.

« Mais c’est vous seule, c’est vous pour qui je veux vivre et mourir… »

LOUISE, tombant dans un fauteuil.

Assez ! maman, assez !…

JULIE, à part, remettant la lettre dans sa poche.

Tu ne te doutais pas, pauvre chevalier, en m’écrivant ce billet dans toute la candeur de tes dix-sept ans, qu’il me servirait dix-sept ans plus tard à déjouer tes perfidies… Allons, le coup est porté ! (À Louise.) Eh bien ! Louise, avez-vous donc si peu de dignité que vous pleuriez un homme qui vous trompe ? Allons, remets-toi, oublie-le, et allons au bal.

LOUISE.

Au bal ? Le revoir ? oh ! jamais ! je mourrais de honte !… Partons, maman, partons !

JULIE.

Où veux-tu donc aller ?

LOUISE.

Au couvent, au couvent pour jamais !