Mais, mon papa, l’odeur des fleurs me fait mal.
Elle vous fera du bien aujourd’hui. Ramassez votre bouquet.
Oh ! il est si lourd, c’est fort incommode au bal ! Que peut-on faire de ce gros vilain bouquet ?
Emportez-le, et allez trouver votre mère.
Scène VI.
Votre serviteur, monsieur Freeman ; j’ai deux mots à vous dire, ni plus ni moins. Vous voulez épouser ma fille, cela ne se peut pas.
Je ne me suis pas expliqué à cet égard, Monsieur ; mais, si telle était mon intention, je crois que vous ne me la refuseriez pas.
Vous vous trompez. Ma parole est irrévocable. Ma fille est promise.
Je le sais, Monsieur ; mais, comme vous aurez toujours un million à rendre à M. le duc de Montguay, quand le moment sera venu, vous ne serez pas obligé de lui livrer votre fille.
Est-il sorcier, ou le vieux duc tombe-t-il en enfance jusqu’à raconter ainsi nos affaires ? (Haut.) Et d’où êtes-vous si bien informé. Monsieur ?
Peu importe ! il me suffit que ce soit la vérité. Ainsi ce ne serait pas là le prétexte plausible de votre refus.
Ce diable d’homme me déplaît. (Haut.) Serais-je donc obligé de motiver mon refus ?
Vous ne voudriez pas me faire d’insulte.
Eh bien, s’il vous fallait une raison, il y en aurait une bien simple : c’est que vous n’avez pas le sou.
À la bonne heure ! voici le Samuel d’autrefois ! (Haut.) Mais, Monsieur, lorsque vous donnerez votre fille à M. le duc de Montguay, vous n’aurez pas le sou vous-même, comme il vous plaît de le dire ; autrement vous rembourseriez le million, et ne donneriez pas votre fille, je le suppose, par goût, à un octogénaire. Ainsi ce n’est pas encore là la raison.
Eh bien ! Monsieur, il y en a une autre, c’est que vous n’avez pas de nom.
On peut toujours en acheter un !
Comme j’ai fait, vous voulez dire ! Mais il faut avoir de l’argent pour cela, ça coûte cher !
Et cela ne sert à rien.
Si fait, cela sert à tout ; avec un nom on a du crédit et de la faveur : ma fille sans dot sera duchesse, et bientôt, veuve d’un octogénaire, comme vous dites, elle pourra épouser un prince.
Et, pour peu qu’il ait quatre-vingt-dix ou cent ans, elle pourra en troisièmes noces épouser le roi.
Vous avez de l’esprit !
Et vous aussi. Mais allons au fait : vous faites un calcul que vous croyez bon, et je vais vous prouver qu’il ne vaut rien. Vous croyez que la roture s’élève en s’accrochant à la noblesse, vous vous trompez : c’est la noblesse qui s’abaisse en se rattrapant à la roture.
Ah ! je sais bien que la noblesse dégringole ; mais, avant qu’elle soit par terre, nous serons tous morts.
Il est possible qu’elle se soutienne jusque-là dans l’opinion ; mais, en fait d’argent et de pouvoir, elle est déjà morte. La manie qu’ont les traitants de s’anoblir n’est qu’une sotte vanité qu’ils tâchent de se dissimuler à eux-mêmes en se persuadant qu’elle aide à leur fortune. Ils se trompent ; on se moque d’eux, et voilà tout.
Voilà un original bien osé, de me parler ainsi en face !
Et puis, comme la noblesse est incontestablement ruinée…
Elle ne l’est pas encore, c’est moi qui vous le dis.
Elle le sera dans six mois, dans six jours peut-être, grâce à vous et à vos confrères, vous le savez bien. Que pourra-t-elle vous donner quand vous lui aurez tout pris ? Ses titres, ses armoiries ? Qu’en ferez-vous alors ? Vous voyez bien qu’il n’y a là que mensonge et fumée.
Vous raisonnez serré, maître Freeman, et votre conclusion est que vous devez épouser ma fille par la raison que vous n’avez ni argent ni blason ! Il n’en sera pourtant rien, je vous jure.
J’aurai un blason quand je voudrai, et de l’argent, à coup sûr, j’en aurai.
Ouais ! seriez-vous un homme adroit ?
Non, mais je suis aussi laborieux que vous, et beaucoup plus intelligent.
Ah ! oui ! vous êtes philosophe ! ça vous mènera loin.
Je suis cultivateur, Monsieur, et négociant, et je suis en train de faire fortune.
Eh bien ! quand ce sera fait, vous reviendrez, et on verra.
Je serai riche le jour où vous serez ruiné. Prenez garde qu’alors je ne vous en dise autant.
Quel diable d’original ! C’est peut-être un habile compère. (Haut.) Expliquez-moi ça.
Vous savez bien qu’il y a de belles et bonnes terres à la Louisiane, et vous savez bien aussi qu’il n’y a pas de mines d’or ? Vous savez bien que Crouzat a cédé son privilège pour rien ?
Monsieur, doucement, doucement ! ne criez pas si haut des choses que vous ne savez pas.
Oh ! mon Dieu, j’étais présent à la signature de l’acte.
Aïe !
Et j’ai travaillé dix ans avec Crouzat à la recherche des mines.
Eh bien ! ces mines ?
Il n’y en a pas, vous le savez de reste…
Qu’y a-t-il donc ?
Des forêts, des troupeaux, des pâturages ; il ne manque