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LES MISSISSIPIENS.

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Scène VI.


JULIE, LA MARQUISE, puis LE CHEVALIER.
JULIE.

Ah ! j’en mourrai… Cet homme me ferait horreur !

LA MARQUISE.

Il t’aime beaucoup, mon enfant, et son empressement le rend indiscret. Il faudra lui apprendre à vivre et ce sera un excellent mari.

JULIE, pleurant.

Et Léonce !…

(Le chevalier sort du cabinet et se jette à ses pieds.)
LA MARQUISE.

Mes enfants, mes enfants ! ayez du courage !

LE CHEVALIER.

Vous ne voulez pas qu’elle meure ? Vous ne la livrerez pas à ce rustre ! Ah ! Julie, je le tuerai plutôt !

LA MARQUISE.

Eh ! pour Dieu, ne parlez pas si haut, M. Bourset est ici près… J’entends sa voix.

(Elle court fermer la grande porte du salon en dedans.)
JULIE.

Léonce, il faut nous séparer à jamais !

LE CHEVALIER.

Est-ce vous qui l’ordonnez ?… Non, Julie, ce n’est pas toi !

(Il l’entoure de ses bras.)
JULIE.

Mon Dieu !

(On entend tousser.)
LA MARQUISE.

Ah ! c’est la grosse toux de ce Bourset ! Sauvez-vous, Léonce ! (Le chevalier se relève et veut tirer son épée.) Y songes-tu, malheureux enfant ? Veux-tu donc perdre ma fille ? Et vite ! et vite ! (Elle le pousse vers une des petites portes de dégagement. Bourset tousse encore.)

LE CHEVALIER, exaspéré.

Julie !

JULIE, hors d’elle-même.

Ne crains rien, Léonce ! Cache-toi, nous nous reverrons bientôt. Ma mère, je le veux, je veux lui dire adieu, une dernière fois, devant vous.

LE CHEVALIER.

Mais cet homme !…

JULIE.

Ne crains rien, jamais, jamais !

(Elle se lève et le pousse aussi vers la porte.)
LE CHEVALIER.

Nous nous reverrons ? Oh ! dis-le-moi, ou je brave tout. Je ne puis te quitter ainsi !

JULIE.

Oui, nous nous reverrons ; la conduite de cet homme me pousse à bout.

(Bourset rentre par une autre porte de dégagement pendant que Julie et la marquise entraînent le chevalier par la porte opposée et lui tournent le dos.)
LA MARQUISE, à sa fille.

Je vais le cacher dans ma chambre, car je suis sûre que Bourset nous espionne. (Elle sort avec le chevalier.)

JULIE, leur parlant encore sur le seuil de la porte de gauche.

Et revenez vite près de moi, ma mère, car il va venir m’obséder de sa présence.

(Elle se retourne, trouve Samuel debout devant elle et reste muette d’effroi. Aussitôt Samuel, qui a déjà eu soin de refermer la porte par laquelle il vient d’entrer, va à celle par où vient de sortir le chevalier, et la referme aussi ; puis il met tranquillement les deux clefs dans sa poche. Julie s’élance vers la grande porte pour s’enfuir et la trouve fermée.)
SAMUEL.

Oh ! cette clef-là, votre mère l’a dans sa poche.

JULIE.

Quelle est cette inconvenante plaisanterie ? Je veux être seule avec ma mère, je vous l’ai déjà dit, Monsieur.

(Elle veut s’approcher d’une sonnette, Samuel lui barre le chemin, la salue, et lui offre une chaise.)
SAMUEL.

Je suis charmé que vous vous portiez mieux. Comme vous vous êtes promptement remise sur pied ! C’est merveille de voir comme les couleurs vous sont vite revenues.

JULIE.

Laissez-moi.

SAMUEL.

Là, là, je ne vous regarde seulement pas. Quelle mouche vous pique ?

JULIE.

Mais pourquoi m’enfermez-vous ainsi ? Nous n’avons rien à nous dire.

SAMUEL.

Si fait, si fait, nous avons à causer.

JULIE.

Je n’y suis nullement disposée.

SAMUEL.

Je suis sûr que vous l’êtes, au contraire, et que le nom seul de la personne dont j’ai à vous entretenir va vous donner de l’attention.

JULIE.

Que voulez-vous dire ?

SAMUEL, lui offrant toujours la chaise.

Asseyez-vous.

JULIE.

Non ; dites tout de suite, je ne m’asseyerai pas.

SAMUEL, s’asseyant.

À votre aise ! quant à moi, j’ai tant couru ces jours-ci pour vos cadeaux de noces que je n’en puis plus.

JULIE, à part.

Oh ! quel supplice !…

SAMUEL.

Vous avez un parent qui vous intéresse ?

JULIE, troublée.

J’en ai plusieurs ; ma famille est nombreuse, et, quoique pauvre, elle est encore puissante, Monsieur.

SAMUEL.

Je le sais, c’est à cause de cela que j’ai voulu en faire partie ; ainsi donc vous avez, c’est-à-dire nous avons un cousin.

JULIE, tremblante.

Eh bien ! que vous importe ?

SAMUEL.

Il m’importe beaucoup, parce que premièrement il est mon parent, et qu’en second lieu il est mon débiteur.

JULIE.

Votre débiteur ?

SAMUEL tire des papiers de sa poche et les déroule lentement.

Il a eu le malheur d’emprunter, du vivant de M. le baron de Puymonfort, son père, qui ne lui donnait pas beaucoup d’argent (et pour cause), la somme de quatre cents et tant de louis à un capitaliste de mes amis, lequel m’a cédé sa créance pour se libérer envers moi d’une somme égale…

JULIE.

Abrégeons, Monsieur. Si c’est pour me parler d’affaires que vous me retenez ici contre ma volonté, le procédé est au moins bizarre ; et si le chevalier de Puymonfort, mon cousin, est votre débiteur, il s’acquittera envers vous : cela ne me regarde pas. Laissez-moi sortir.

SAMUEL.

Un petit moment, un petit moment ! ceci vous regarde plus que vous ne pensez. Le chevalier est insolvable.

JULIE.

Ma famille se cotisera pour ne rien vous devoir.

SAMUEL.

Ah ! bien oui ! votre famille !… Si entre vous tous vous aviez pu réunir cinq cents louis, vous ne m’auriez pas épousé.

JULIE, outrée.

C’est possible ! Après ?

SAMUEL.

Après !… comme j’ai droit à être payé, j’ai pris des sûretés, et voici une lettre de cachet que le ministre de