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LE PICCININO.

si fiers, il renonça vite à l’éclair de présomption qui venait de lui faire à la fois peur et plaisir.



Le cordonnier qui demeurait sur le même palier… (Page 87.)

« Je comprends fort bien que vous ne m’aimiez pas, ma bonne Mila, lui dit-il avec un sourire mélancolique ; je ne suis pas aimable ; et ce qu’il y aurait de plus triste au monde, après avoir été compromise par moi, ce serait de passer votre vie avec un être aussi maussade.

― Ce n’est pas là ce que j’ai voulu dire, reprit l’adroite petite fille ; j’ai beaucoup d’estime et d’amitié pour vous, je n’ai pas de raisons pour vous le cacher ; mais j’ai une inclination pour un autre. Voilà pourquoi je souffre et je tremble de me trouver ici enfermée avec vous.

― S’il en est ainsi, Mila, dit Magnani en poussant le verrou de sa porte et en allant fermer le contrevent de sa fenêtre, avec tant de vivacité qu’il faillit briser le reste de son liseron, prenons toutes les précautions possibles pour que personne ne sache que vous êtes ici ; je vous jure que vous en sortirez sans que personne s’en doute, dussé-je écarter de force tous les voisins, dussé-je faire le guet jusqu’à ce soir. »

Magnani essayait d’être enjoué, et se croyait fort soulagé de n’avoir pas à se défendre de l’amour de Mila ; mais il venait d’être frappé d’une tristesse subite en entendant cette jeune fille déclarer son affection pour un autre, et sa figure candide exprimait malgré lui un désappointement assez pénible. Ne le lui avait-elle pas avoué déjà durant leur veillée, et, par cette confidence, ne l’avait-elle pas investi, en quelque sorte, des devoirs d’un frère ? Il était résolu à remplir dignement cette mission sacrée ; mais, d’où vient qu’un instant auparavant il venait de tressaillir en la voyant courroucée ; et pourquoi son cœur, nourri d’une amère et folle passion, s’était-il senti vivifié et rajeuni par la présence inattendue de cette enfant qui était entrée par sa fenêtre comme un rayon du soleil ?

Mila l’observait à la dérobée. Elle vit qu’elle avait touché juste. « Ô cœur sauvage ! se dit-elle avec une joie muette et forte, je te tiens ; tu ne m’échapperas point.

« Mon cher voisin, lui dit cette petite rusée, ne soyez pas offensé de ce que je viens de vous confier, et n’y voyez pas une insulte à votre mérite. Je sais que toute autre que moi serait flattée d’être compromise par vous,