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LE PICCININO.

ne m’engage jamais dans une affaire sans la connaître à fond, et il m’arrive parfois, comme vous voyez, d’interroger les deux parties. Permettez donc que je poursuive mes révélations, et j’espère qu’elles amèneront les vôtres.



Mais elle eut à peine fait trois pas. (Page 79.)

« L’abbé Ninfo n’avait pas beaucoup examiné ni beaucoup interrogé le quidam qui se trouvait à la grille du parc de Votre Altesse. Au bout d’un instant, voyant le cardinal conserver de cette rencontre une sorte d’agitation, comme si cette figure eût réveillé en lui des souvenirs qu’il ne venait point à bout de rassembler et d’éclaircir (car Son Éminence s’épuise souvent, à ce qu’il paraît, à ce douloureux travail d’esprit), l’abbé revint sur ses pas, et examina le jeune homme avec soin. Le jeune homme avait des raisons pour se préserver, car il se moqua de l’abbé, qui le prit définitivement pour un pauvre diable et lui fit même l’aumône. Mais, deux jours après, l’abbé, espionnant chez vous, sous le déguisement d’un ouvrier employé aux préparatifs de votre bal, découvrit aisément que son quidam était un brillant artiste, très-choyé et très-employé par Votre Altesse, et nullement en position d’accepter un tarin à la porte d’un palais, puisqu’il est le fils d’un artisan aisé, Pier-Angelo Lavoratori.

« L’abbé ne manqua pas, la nuit qui suivit cette découverte, de placer devant les yeux de monsignor Ieronimo une bande de papier qui contenait cette dénonciation en grosses lettres. Mais, à force de vouloir stimuler les dernières cordes de l’instrument, l’abbé les a brisées. Le cardinal n’a pas compris. Les noms de Pier-Angelo et de Michel-Angelo Lavoratori ne lui ont offert aucun sens. Il murmura un jurement énergique contre le Ninfo qui troublait son sommeil… ― Ainsi, ajouta le Piccinino avec une malice insinuante, les craintes que Votre Altesse éprouve, ou feint d’éprouver à l’égard de Pier-Angelo, sont tout à fait dénuées de fondement. Si le cardinal a autrefois poursuivi ce brave homme comme conspirateur, il l’a si bien oublié que l’abbé Ninfo lui-même ne songe pas à réveiller le souvenir d’une affaire qu’il ignore, et qu’aucune dénonciation de sa part ne menace, quant à présent, votre protégé…

― Je respire, dit la princesse en laissant le bandit prendre sa main dans la sienne, et même en répondant à la pression de cette main avec une préoccupation géné-