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LE SECRÉTAIRE INTIME.



Vous n’êtes qu’un horloger… (Page 54.)

Avant que Julien eût trouvé la force de répondre, les valets entrèrent, fermèrent ses malles, les chargèrent sur la voiture, et, tout en ayant l’air d’exécuter ses ordres, l’emballèrent pour ainsi dire avec ses paquets. L’abbé lui fit mille humbles salutations, et les chevaux prirent le galop. Cependant, à la sortie de la ville, on amena un homme enveloppé d’un manteau, et on le fit monter auprès de Julien ; c’était Galeotto.

« Béni soit le ciel ! s’écria le page ; tu n’es donc pas mort, mon pauvre camarade ?

— J’aimerais mieux la mort que le chagrin dont je suis dévoré, répondit Julien. Mais d’où viens-tu, et qu’es-tu devenu depuis notre séparation ?

— Je sors de la prison où tu m’as laissé. Seulement on m’avait mis dans une pièce plus commode et plus saine que notre vilain cachot. On vient de m’en tirer après m’avoir lu une sentence d’exil éternel, accompagnée de promesse de peine de mort si je remets les pieds sur le territoire ; ce qui ne m’arrivera jamais, j’en prends à témoin tous les saints et tous les diables. »

Galeotto écouta, non sans surprise, mais sans grand repentir, le récit de Julien. Un peu touché d’abord, il finit par railler son compagnon de se laisser ainsi abattre. En arrivant à Milan, il ouvrit son portefeuille, qu’on lui avait rendu avec ses autres effets, et il y trouva en billets de banque la somme qu’il avait refusée. Cette fois il ne la refusa pas, et prit congé de Julien, non sans lui avoir fait des offres de service que celui-ci refusa.

Saint-Julien, resté seul, hésita et fut malade pendant quelques jours. Puis il perdit tout reste d’espoir et partit pour la France.

Il trouva son père mourant et eut la consolation en même temps que la douleur de lui fermer les yeux. Sa mère fut admirable de soins et de dévouement au chevet du moribond. Lorsqu’elle l’eut perdu, son regret fut si profond et si sincère, que Louis se repentit d’avoir méconnu un cœur vraiment bon. Il eut souvent occasion, en voyant les derniers moments de son père adoucis par une telle affection, de reconnaître une grande vérité : c’est que la tolérance et la bonté avaient providentiellement leurs avantages. Louis avait méprisé sa mère pour des fautes que son père avait pardonnées ; il avait méprisé son père pour une indulgence que sa mère sut récompenser. « Je ne serai jamais trompé, se dit Julien