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LE SECRÉTAIRE INTIME.



Saint-Julien… se sentit frapper sur l’épaule. (Page 39.)

La barque vint aborder tout près d’eux, et un des deux hommes se pencha pour amarrer à un des saules du rivage, tandis que l’autre, sautant légèrement sur la grève, lui dit à voix basse :

« Tu m’attendras ici.

— Oui, Madame, répondit-il ; » et tandis que le premier gagnait d’un bond la porte de la maisonnette, le prétendu batelier se roula dans son manteau et se coucha au fond de la barque.

« Gina, dit le page d’une voix flûtée en se penchant vers elle. »

La Gina tressaillit, se leva et regarda autour d’elle avec inquiétude ; mais le page s’était rejeté dans l’ombre et s’y tenait immobile. Elle crut s’être trompée et se recoucha dans la barque. Galeotto prit le bras de Julien, et l’emmena sans bruit à distance de la rivière.

« Maintenant diras-tu que je suis le diable et que je fais passer des fantômes devant tes yeux ? lui dit-il.

— Galeotto, répondit Julien, vous me faites faire de tristes rêves ; mais si quelqu’un joue ici le rôle de Satan, c’est cette femme impure qui a sur les lèvres de si chastes paroles au service de son impudente fausseté. Mais dites-moi donc pourquoi elle est ainsi avec nous ? Que ne nous traite-t-elle comme Dortan, comme Spark et comme Rosenhaïm ? Pourquoi ne recevons-nous pas le matin un rendez-vous pour le soir sans autre cérémonie ? À quoi bon la peine qu’elle prend pour nous inspirer du respect et de la crainte ?

— Vous ne le savez pas, dit Galeotto en riant. C’est que nous vivons auprès d’elle, et qu’elle a besoin de serviteurs qui la craignent et de dupes qui l’admirent. Et puis les femmes blasées deviennent romanesques, c’est-à-dire dépravées de cœur et de tête. Elles mettent fort bien à part le plaisir et à part le sentiment. La confiance niaise d’un enfant comme vous les amuse et flatte leur vanité. C’est une occupation de la matinée, en attendant l’amant du soir, qui est aimable à sa manière sans faire tort à la vôtre. De quoi vous inquiétez-vous ? vous avez le beau rôle.

— Par l’éternelle damnation de l’enfer ! s’écria Julien, c’est un rôle abject et stupide. »

Galeotto éclata de rire. « Bonsoir, lui dit-il. Je vais demander asile à une demoiselle de ma connaissance ; toi, retourne au palais et prépare un sonnet pastoral