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LE SECRÉTAIRE INTIME.



Que suis-je donc ? s’écria Julien… (Page 18.)

VII.

« Mon ami, lui dit Galeotto le lendemain matin, vous avez été souverainement ridicule hier soir.

— Et pourquoi donc ?

— Triste, pâle, et l’air consterné ! Prenez garde à vous. La princesse est en humeur de se divertir : si vous ne vous amusez pas, vous êtes perdu.

— Perdu ! dit Saint-Julien. Comment et pourquoi ?

— Pourquoi ?… parce que vous l’ennuierez, mon ami. Comment ? parce qu’elle oubliera jusqu’à votre nom.

— Où sommes-nous, mon Dieu ? dit Julien en passant sa main sur ses yeux, dans un sentiment d’invincible tristesse. Est-ce un rêve que je fais ? Tout est-il donc si changé depuis douze heures !

— Vous ne connaissez pas le monde, reprit le page ; vous ne savez pas qu’il faut ne compter sur rien, être préparé à tout, et posséder vingt habits dans son magasin pour être toujours prêt à changer avec ceux qui changent.

— Mais expliquez-moi Quintilia ; que m’importent les autres ?

— Quintilia ! dit le page en baissant la voix. Que je vous explique cette femme, moi !… Eh ! mon ami, j’ai seize ans ! Je ne manque pas d’intrigue, d’ambition et d’une certaine intelligence ; je vois, j’entends ; je n’essaie pas de comprendre ; j’obéis, je devine ce qu’on va me commander : il me semble que c’est quelque chose pour mon âge. Mais trouver la raison de ce que je vois, de ce que j’entends et de ce que je fais, c’est plus qu’il n’appartient à mon inexpérience et à ma jeunesse. C’est vous, monsieur le philosophe, qui devriez me donner la clé des énigmes autour desquelles je tourne comme une folle planète, sans savoir où me mène mon soleil.

— Je ne vous demande qu’une chose, dit Saint-Julien en fixant ses grands yeux tristes sur les yeux malins et brillants de Galeotto. Je vois bien qu’il y a en elle deux femmes distinctes, une vraie et une artificielle ; une qui est née ce qu’elle est, une autre que les hommes et le siècle ont formée : laquelle des deux est l’œuvre de Dieu ? »

Le page eut sur les lèvres une contraction nerveuse,