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SIMON.

profitant de sa fantaisie et entraîné par son amour à la partager. Tu serais, à notre tête, la Jeanne d’Arc de l’Italie, belle et sainte comme elle, comme elle brave et inspirée ! Crois-tu que cette héroïne ait eu plus de force et de cœur que toi ? Crois-tu qu’elle ait aimé sa patrie avec plus d’ardeur ? Vois, Dieu semble t’avoir formée exprès pour un rôle extraordinaire. Dès le premier jour où je t’ai vue, j’ai pressenti ta grandeur future, j’ai vu sur ton visage le sceau d’une mission divine. Vois ta beauté, vois ton intelligence, vois ta santé robuste qui s’accommode de tous les climats, de toutes les privations ; vois ta hardiesse si contraire à l’esprit de ton sexe ; vois jusqu’à ta force musculaire, jusqu’à cette petite main qui est de fer pour dompter un cheval et qui porterait un mousquet aussi bien que Carpaccio !… »



Elle avait poussé son cheval jusqu’au bord du ravin. (Page 26.)

Fiamma tressaillit comme si une flèche l’eût touchée. « Qu’avez vous donc ? lui dit son cousin en voyant une vive rougeur couvrir aussitôt son visage ; chère enfant, si le brave bandit Carpaccio n’avait pas été pendu à deux pas de mon domaine d’Asolo peu d’années après votre naissance, je croirais qu’une aventure de roman vous a rendu ce souvenir terrible.

— Parlons d’autre chose, je vous prie, répondit Fiamma, je me sens mal ; vous flattez trop mon penchant à l’exaltation. Toutes ces chimères sont bonnes à forger sur le versant des Alpes, quand on n’a qu’un pas à faire pour être hors de la portée de ce monde railleur et sceptique qui paralyse toutes les idées grandes en les traitant de folles. Ici, au milieu du cloaque, on est ridicule rien que de se promener sur un cheval pour prendre l’air. Rentrons, cousin ; le froid me gagne. »

Ruggier Asolo tourna son cheval dans la direction que lui imposait Fiamma du bout de sa cravache ; mais il avait fait vibrer une corde dont il espérait tirer tous les tons de sa mélopée. Ramenant sa cousine, malgré elle, à l’idée romanesque d’une guerre de partisans, il la ramenait au désir de revoir l’Italie et de le suivre. Fiamma était tellement absorbée par la partie poétique de cette idée, qu’elle ne songeait seulement pas aux conséquences positives que son cousin cherchait à déduire comme moyens d’exécution. La voyant enflammée d’une ardeur guerrière, il commençait à faire entendre clairement l’offre de son amour et de sa main, lorsqu’il s’aperçut que Fiamma ne l’écoutait plus. Elle avait poussé son cheval