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SIMON.

Fougères, qui était venu en France pour racheter ses terres, l’avait laissée maîtresse de ses actions, et son indépendance naturelle avait pris un dévelopement qu’il n’était plus possible de restreindre. Cependant le respect qu’elle avait pour son père était seul capable de lui dicter des lois ; elle avait obéi à ses ordres en quittant l’Italie avec une gouvernante. Après peu de mois de séjour à Paris, elle était venue s’établir à Guéret, en attendant qu’elle s’établît à Fougères.



Le garde-champêtre, orateur fort remarquable… (Page 12.)

« Il me tarde que cela soit fait, dit-elle en achevant son récit. Puisqu’il faut abandonner ma patrie, j’aime mieux vivre dans ce vallon sauvage, qui me rappelle certains sites à l’entrée de mes Alpes chéries, que dans vos villes prosaïques et dans ce pandémonium sans physionomie et sans caractère que vous appelez votre capitale, et que vous devriez appeler votre peste, votre abîme et votre fléau. Maintenant, adieu ; je vous prie d’appeler notre milan Italia, de ne pas oublier que nous en avons fait la conquête ensemble et d’en avoir bien soin. Si quelqu’un vous parle de moi, dites que je ne sais pas deux mots de français ; je ne me soucie pas de parler avec tous ces laquais de la royauté qui ont baisé le knout des Cosaques et le bâton des caporaux schlagueurs de l’Autriche.

— Laissez-moi baiser le sabot de votre cheval, dit Simon en riant ; c’est une noble créature qui n’obéit qu’à vous.

— Et qui ne m’obéit que par amitié, reprit Fiamma. Mais ne touchez pas à son sabot, et donnez-moi une poignée de main : E viva la libertà ! »

Elle lui tendit sa main qui saignait encore, et entra dans le vallon au galop. Simon baisa encore ce sang généreux et essuya ses doigts à nu sur sa poitrine. Puis il alla s’enfermer dans sa chambre, et, jetant sa tête dans ses mains, il resta éveillé jusqu’au matin dans un état d’ivresse impossible à décrire.

VII.

Simon demeura plus de vingt-quatre heures sous le charme de cette aventure. Aucune réflexion fâcheuse ne pouvait trouver place au milieu de son enivrement. Les âmes les plus fortes sont les plus spontanément vaincues et les plus complétement envahies par une passion digne