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LE PICCININO.



Un grand vautour qui s’envola brusquement. (Page 129.)

Fra-Angelo les bénit tous deux, et, s’adressant au prince :

― Je salue avec joie, lui dit-il, ton avénement à la grandeur et à la puissance, en te voyant presser contre ton cœur l’homme du peuple de ton pays. Michel de Castro-Reale, Michel-Ange Lavoratori, je t’aimerai toujours comme mon neveu en t’aimant comme mon prince. Direz-vous maintenant, excellence, que c’est duperie aux gens de ma race de servir et d’aimer ceux de la vôtre ?

― Ne me rappelez pas mes hérésies, mon digne oncle, répondit Michel. Je ne sais plus à quelle race j’appartiens aujourd’hui, je sens que je suis homme et Sicilien, voilà tout.

― Donc, vive la Sicile ! s’écria le capucin en saluant l’Etna.

― Vive la Sicile ! répondit Michel en saluant Catane. »

Magnani était attendri et affectueux. Il se réjouissait sincèrement du bonheur de Michel ; mais, pour son compte, il était fort abattu de l’obstacle qui s’élevait entre Mila et lui, et il tremblait de retomber sous l’empire de sa première passion. Pourtant la mère est plus que la femme, et voir Agathe sous cet aspect nouveau rendit le culte de Magnani plus calme et plus sérieux qu’il ne l’avait été encore. Il sentit qu’il rougirait en présence de Michel s’il conservait la moindre trace de sa folie. Il résolut de l’effacer en lui-même, et, heureux de pouvoir toujours se dire qu’il avait consacré sa jeunesse, par un vœu, à la plus belle sainte du ciel, il garda son image et son souvenir en lui comme un parfum céleste.

Magnani était guéri ; mais quelle triste guérison, à vingt-cinq ans, que d’abjurer tous les rêves de l’amour ! Il se sentit plein de résignation ; mais, à partir de ce moment, la vie ne fut plus pour lui qu’un devoir rigide et glacé.

Les rêveries et les tourments qui lui avaient fait aimer ce devoir n’existaient plus. Jamais il n’y eut d’homme plus isolé sur la terre, plus dégoûté de toutes les choses humaines, que ne le fut Magnani le jour de sa délivrance.

Il quitta Michel et Fra-Angelo, qui voulaient se rendre sans tarder à Nicolosi, et passa tout le reste du jour à se promener seul au bord de la mer, vers les îles basaltiques de Jaciréale.

Le jeune prince et le moine partirent aussitôt après