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LE CHÂTEAU DES DÉSERTES.

vous expliquer. — Et je pris le bras de Cécilia avec une brusquerie involontaire dont je me repentis tout à coup, car elle me regarda d’un air étonné, comme si je venais de la préserver d’une brûlure ou d’une araignée. Je me calmai aussitôt et j’ajoutai : — Je tiens à savoir si je suis assez votre ami pour que vous m’ayez confié votre secret, ou si je le suis assez peu pour qu’il vous soit indifférent, à vous, de n’être pas connue de moi.



Puis, en voyant de près combien sa beauté était vraie… (Page 79.)

— Ni l’un ni l’autre, répondit-elle. Si j’avais un tel secret, j’avoue que je ne vous le confierais pas sans vous connaître et vous éprouver davantage ; mais, n’ayant point de secret, j’aime mieux que vous me connaissiez telle que je suis. Je vais vous expliquer mon dévouement pour Célio, et d’abord je dois vous dire que Célio a deux sœurs et un jeune frère pour lesquels je me dévouerais encore davantage, parce qu’ils pourraient avoir plus besoin que lui des services et de la sollicitude d’une femme. Oh ! oui, si j’avais un sort indépendant, je voudrais consacrer ma vie à remplacer la Floriani auprès de ses enfants, car l’être que j’aime de passion et d’enthousiasme, c’est un nom, c’est une morte, c’est un souvenir sacré, c’est la grande et bonne Lucrezia Floriani !

Je pensai, malgré moi, à la duchesse, qui, une heure auparavant, avait motivé son engouement pour Célio par une ancienne relation d’amitié avec sa mère. La duchesse avait trente ans comme la Boccaferri. La Floriani était morte à quarante, absolument retirée du théâtre et du monde depuis douze ou quatorze ans… Ces deux femmes l’avaient-elles beaucoup connue ? Je ne sais pourquoi cela me paraissait invraisemblable. Je craignais que le nom de Floriani ne servît mieux à Célio auprès des femmes qu’auprès du public.

Je ne sais si mon doute se peignit sur mes traits, ou si Cécilia alla naturellement au-devant de mes objections, car elle ajouta sans transition : — Et pourtant je ne l’ai vue, dans toute ma vie, que cinq ou six fois, et notre plus longue intimité a été de quinze jours, lorsque j’étais encore une enfant.

Elle fit une pause ; je ne rompis point le silence ; je l’observais. Il y avait comme un embarras douloureux en elle ; mais elle reprit bientôt : « Je souffre un peu de vous dire pourquoi mon cœur a voué un culte à cette femme, mais je présume que je n’ai rien de neuf à vous apprendre là-dessus. Mon père… vous savez, est un