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JACQUES.

ces dames avec ceux qui n’ont pas eu les pieds gelés en Russie ; je recommandai seulement à Eugénie de surveiller de près sa compagne, et de m’avertir sur-le-champ si elle dansait plusieurs fois ou si elle causait trop souvent avec quelqu’un. Je revins moi-même trois ou quatre fois donner un coup d’œil à leur manière d’être. Tout se passa fort bien en apparence, et à moins que ma femme ne soit d’accord avec la tienne, ce dont je la crois incapable, il faut que le cavalier soit très-adroit et moins insensé que Fernande ne l’avait dépeint. Il faut aussi qu’elle ait été de très-bon accord avec lui pour ne pas me le faire connaître ; car il m’est impossible d’imaginer lequel, de ceux qui l’ont fait danser durant deux bals, a pris avec elle les mesures qu’elle a su si bien exécuter. Je poursuis mon récit.



J’ai déjà gagné le jardinier… (Page 70.)

Le lendemain du dernier bal, quand nous fûmes de retour à Cerisy, elle nous dit qu’elle avait oublié une emplette, et qu’elle s’amuserait à monter à cheval un de ces jours pour faire cette course. Je lui répondis qu’au jour et à l’heure qu’elle choisirait, je serais prêt à l’accompagner avec ma femme, ou sans ma femme, si cette dernière était occupée. Je lui proposai le lendemain ou le surlendemain. Elle me dit que cela dépendrait de l’état de sa santé, et qu’elle m’avertirait le premier matin où elle se sentirait bien. Le lendemain, vers midi, ne la voyant point descendre au salon, je craignis qu’elle ne fût plus malade qu’à l’ordinaire, et j’envoyai savoir de ses nouvelles ; mais sa femme de chambre nous répondit qu’elle était partie à six heures du matin, à cheval et suivie d’un domestique. Cela m’étonna un peu, et j’allai prendre des informations à l’écurie. Je savais que la jument d’Eugénie et l’autre petite bête que monte ta femme ordinairement étaient allées chez le maréchal ferrant, à deux lieues d’ici. Fernande avait donc été obligée de monter mon cheval, qui est beaucoup trop vigoureux pour une femme aussi poltronne qu’elle ; cela me sembla trahir un singulier empressement d’aller à Tours, et me jeta dans une double inquiétude. Je craignais qu’elle ne se rompît le cou, et, ma foi ! c’eût été bien autre chose que tout le reste. J’allai l’attendre à la grille du parc, et je la vis bientôt arriver au triple galop, couverte de sueur et de poussière. Elle fut assez déconcertée en m’apercevant ; elle espérait sans doute rentrer et se dépouiller de cet accoutrement de marche forcée sans être remarquée ;