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ISIDORA.



J’observais avec étonnement cette foule de masques noirs… (Page 9.)

— Vous réfléchirez ! Vous tenez à vos réflexions, ma cousine ! Après cela, si vous accueillez Isidora, ajouta-t-il avec une fatuité amère, cela pourra rendre votre maison plus gaie qu’elle ne l’est, et si elle vous amène ses amis des deux sexes, cela jettera beaucoup d’animation dans vos soirées. Mon père et ma tante vous bouderont peut-être ; mais, quant à moi, je ne ferai pas le rigoriste. Vous concevez, moi, je suis un jeune homme, et je m’amuserai d’autant mieux ici, qu’il me paraîtra plus plaisant de voir votre gravité à pareille fête. Bonsoir, ma cousine.

— Bonsoir, mon jeune cousin, » répondit Alice ; et elle ajouta mentalement en haussant les épaules, lorsqu’il se fut éloigné : Vieillard !

Elle demeura triste et rêveuse. Il y a de grandes bizarreries dans la société, se disait-elle, et il est fort étrange que les lois de l’honneur et de la morale aient pour champions et pour professeurs gourmés des laides envieuses, des femmes dévotes, d’un passé équivoque, des hommes débauchés !

Tout à coup la porte de son salon se rouvrit, et elle vit rentrer Adhémar. « Tenez, tenez, ma cousine, lui dit-il d’un air moqueur, vous allez voir le héros de l’aventure ; c’est lui, j’en suis certain, car j’ai une mémoire qui ne pardonne pas, et d’ailleurs, la femme de votre concierge l’a reconnu et l’a nommé.

— Quelle aventure, quel héros ? Je ne sais plus de quoi vous me parlez, Adhémar.

— L’aventure du bal masqué ; le dernier amant d’Isidora à Paris, il y a trois ans ; ah ! c’est charmant, ma parole ! Et le plus joli de l’affaire, c’est que vous réchauffiez ce serpent dans votre sein, cousine… Je veux dire dans le sein de votre famille !

— Ne vous battez donc pas les flancs pour rire ; expliquez-vous.

— Je n’ai pas à m’expliquer ! le voilà qui arrive de province, frais comme une pêche, et qui descend dans votre cour.

— Mais qui ? au nom du ciel !

— Vous allez le voir, vous dis-je ; je ne veux pas le nommer ; je veux assister à ce coup de théâtre. Je suis revenu sur mes pas bien vite, après l’avoir nettement reconnu sous la porte cochère. Ah ! le scélérat ! le Lovelace ! » Et Adhémar se prit à rire de si bon cœur qu’Alice