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LE CHARIOT D’OR


Et qui cède, chargé de trop de souvenir !
L’âme de l’inconnue expirait sur sa lèvre ;
Ses yeux, ses grands yeux noirs charbonnés par la fièvre,
Exagéraient encor sa hautaine pâleur ;
Et sa voix, qui semblait faite pour la douleur,
Exhalait toute, avec ses cordes épuisées,
L’infini de douceur qu’ont les choses brisées…



Je l’écoutais, mêlée à l’odeur des jardins,
Au grand silence ému de roulements lointains,
Aux diamants de l’ombre, aux brises moelleuses,
Au ciel tendre où coulait le lait des nébuleuses,
Et je sentais, saisi d’un trouble grandissant,
Par degrés s’en aller vers elle, en frémissant,
Tout ce qui flotte en nous par de telles soirées
De tendresse ineffable et de pitiés sacrées.
Ô toi qui, ce soir-là, répandais ton ennui
Comme une essence d’or sur les pieds de la Nuit,
Qui te dira jamais qu’à tes côtés, perdue,
Mon âme t’adorait pour ta plainte entendue,
Et, parmi l’ombre douce et les lilas en fleur,
Appuyait, en tremblant, ses lèvres sur ton cœur.