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liées de Pompée, Oricum, Gomphos[1] et d’autres places de la Thessalie.

Pompée, au contraire, diffère la bataille, temporise, dans le double but de ruiner, par le manque de vivres, un ennemi cerné de toutes parts, et de laisser se ralentir l’ardente impétuosité du chef. Mais il lui faut bientôt renoncer aux avantages que lui assurait ce système (23). Le soldat accuse son inaction ; les alliés ses lenteurs ; les chefs ses vues ambitieuses. Les destins précipitant ainsi sa perte, il prend la Thessalie pour champ de bataille, et remet aux plaines de Philippes (24) le sort de Rome, de l’empire, du genre humain. Jamais la fortune ne vit le peuple romain déployer tant de forces en un seul lieu, ni montrer tant de grandeur. Plus de trois cent mille hommes étaient en présence, non compris les auxiliaires fournis par les rois, ni le sénat (25). Jamais prodiges plus manifestes n’annoncèrent une catastrophe imminente : fuite des victimes, enseignes couvertes d’essaims d’abeilles, ténèbres au milieu du jour. Le chef lui-même, pendant la nuit, transporté en songe dans son théâtre, l’entendit retentir d’applaudissements qui avaient quelque chose de sinistre ; et, le matin, on le vit en manteau de deuil, funeste présage ! dans la place d’armes du camp (26). Jamais l’armée de César ne montra plus d’ardeur ni plus d’allégresse. De ses rangs partirent et le signal et les premiers traits. On a même remarqué que ce fut Crustinus qui engagea le combat en lançant son javelot. Il fut, bientôt après, frappé dans la bouche d’une épée qui y resta ; on le trouva en cet état parmi les morts ; et la singularité même de sa blessure attestait l’acharnement et la rage avec laquelle il avait combattu. Mais l’issue de la bataille ne fut pas moins remarquable que son prélude. Pompée, qui, avec ses innombrables corps de cavaliers, se flattait d’envelopper facilement César, fut enveloppé lui-même. Depuis longtemps on combattait avec un avantage égal, lorsque la cavalerie de Pompée courut, par son ordre, sur l’aile qui lui était opposée ; mais, tout à coup, à un signal donné, les cohortes des Germains se précipitèrent contre ces divers escadrons avec une telle impétuosité, qu’on eût cru voir des cavaliers se jetant sur des fantassins (27). Cette déroute sanglante de la cavalerie fut suivie de celle de l’infanterie légère (28). La terreur se répandit au loin, le désordre gagna tous les bataillons, et le carnage fut achevé comme par l’effort d’un seul bras (29). Rien ne fut plus funeste à Pompée que la multitude même de ses troupes (30). César se multiplia dans cette bataille, et fut tour à tour général et soldat. On a recueilli deux paroles qu’il prononça en parcourant les rangs à cheval, l’une cruelle, mais adroite, et propre à assurer la victoire : « Soldat, frappe au visage (31) » ; l’autre, proférée pour lui assurer la popularité : « Épargnez les citoyens, » tandis qu’il les chargeait lui-même.

Heureux encore Pompée dans son malheur, si la fortune lui eût fait subir le même sort qu’à son armée ! Il survécut à sa puissance, pour fuir honteusement à cheval à travers les vallées de la Thessalie, pour aborder à Lesbos[2] sur un chétif navire, pour être jeté à Syèdre, rocher désert de la Cilicie (32), pour délibérer s’il porterait ses

  1. Cette ville, la première de Thessalie, en venant de l’Épire, s’appelle aujourd’hui Janina.
  2. Ile de la mer Égée.