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vinces, de se borner à la domination de l’Italie, que de s’élever à ce point de grandeur où il devait succomber sous ses propres forces. Quelle autre cause, en effet, enfanta nos fureurs civiles que l’excès de la prospérité ? La Syrie vaincue nous corrompit la première, et, après elle, cet héritage légué en Asie par le roi de Pergame. Cette opulence et ces richesses portèrent un coup mortel aux mœurs de ce siècle et précipitèrent la république comme dans un gouffre impur creusé par ses vices. Le peuple romain eût-il demandé aux tribuns des terres et des vivres, s’il n’y eût été réduit par la famine que le luxe avait produite ? De là les deux séditions des Gracches, et celle d’Apuléius. Les chevaliers se seraient-ils séparés du sénat, pour régner par le pouvoir judiciaire, si leur avarice ne se fût proposé de trafiquer des revenus de la république et de la justice même ? De là encore la promesse du droit de cité faite aux Latins, et qui arma nos alliés contre nous. Quelle fut la cause de la guerre servile, si ce n’est la multitude des esclaves ? Des armées de gladiateurs se seraient-elles levées contre leurs maîtres, si, pour se concilier la faveur d’un peuple idolâtre de spectacles, une prodigalité sans frein n’eût fait un art, de ce qui servait autrefois au supplice des ennemis. Enfin, pour en venir à des vices plus brillants, ces mêmes richesses n’ont-elles pas donné naissance à l’ambition des honneurs, source des orages suscités par Marius et par Sylla ? Et ce magnifique appareil de festins, ces somptueuses largesses, qui les rendit possibles si ce n’est l’opulence, d’où devait naître bientôt la pauvreté, qui déchaîna Catilina contre sa patrie ? Enfin, cette passion pour l’empire et pour la domination, d’où vint-elle, si ce n’est de l’excès de nos richesses ? Voilà ce qui arma César et Pompée de ces torches infernales qui embrasèrent la république.

Nous allons exposer dans leur ordre toutes ces agitations domestiques du peuple romain, séparées des guerres étrangères et légitimes.

XIV. — Séditions excitées par les tribuns. — Toutes les séditions ont eu pour cause et pour principe la puissance des tribuns. Sous prétexte de protéger le peuple, dont la défense leur était confiée, ils n’aspiraient en réalité qu’à la domination, et captaient l’affection et la faveur de la multitude par des lois sur le partage des terres, la distribution des grains et l’administration de la justice. Elles avaient toutes une apparence d’équité. N’était-il pas juste, en effet, que la plèbe rentrât en possession de leurs droits usurpés par les patriciens ? qu’un peuple, vainqueur des nations et maître de l’univers, ne fût pas exproprié de ses autels et de ses foyers ? Quoi de plus équitable que ce peuple, devenu pauvre, vécût du revenu de son trésor ? Qu’y avait-il de plus propre à établir l’égalité, si nécessaire à la liberté, que de contrebalancer l’autorité du sénat, administrateur des provinces, par celle de l’ordre équestre, en lui déférant au moins le droit de juger sans appel ? Mais ces réformes eurent de pernicieux résultats ; et la malheureuse république devait devenir le prix de sa propre ruine. En effet, le pouvoir de juger, transporté des sénateurs aux chevaliers, anéantissait les tributs, c’est-à-dire le patrimoine de l’empire ; et l’achat du grain épuisait le trésor, ce nerf de la république. Pouvait-on enfin rétablir le peuple dans ses terres sans