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justice, et dit seulement « qu’il répondrait dans Séleucie[1]. » Aussi les dieux, vengeurs de la foi des traités, favorisèrent les ruses et la valeur des ennemis.

D’abord Crassus s’éloigna de l’Euphrate, qui pouvait seul transporter les convois et couvrir les derrières de son armée. Il se confia ensuite à un Syrien, Mazara, prétendu transfuge, qui, servant de guide à l’armée, l’égara au milieu de vastes plaines, où elle se trouva exposée, sur tous les points, aux attaques de l’ennemi. A peine Crassus fut-il arrivé à Carres que l’on vit les préfets du roi, Sillace et Suréna (24) agiter de toutes parts leurs drapeaux étincelants d’or et de soie. Leur cavalerie nous enveloppa aussitôt de tous côtés et fit pleuvoir sur nous une grêle de traits. Telle fut la déplorable catastrophe qui détruisit notre armée. Le général lui-même, attiré à une conférence, serait, à un signal donné, tombé vivant entre les mains des ennemis, si la résistance des tribuns n’eût obligé les Barbares à le tuer pour prévenir sa fuite. Mais ils emportèrent sa tête qui leur servit de jouet. Déjà ils avaient fait périr à coups de flèches le fils de Crassus, presque sous les yeux de son père. Les débris de cette malheureuse armée, fuyant au hasard, se dispersèrent dans l’Arménie, la Cilicie et la Syrie ; et à peine revint-il un soldat pour annoncer ce désastre. La main droite de Crassus et sa tête, séparée du tronc, furent présentées au roi, qui en fit un objet d’ironie trop méritée. On versa en effet de l’or fondu dans sa bouche, afin que l’or consumât même les restes inanimés et insensibles de l’homme dont le cœur avait brûlé de la soif de l’or.

XIII. — Récapitulation. — C’est là le troisième âge du peuple romain, âge qu’il passa au-delà des mers, et pendant lequel, osant sortir de l’Italie, il porta ses armes dans le monde entier. Les cent premières années de cet âge furent une époque de justice, de piété, et, comme nous l’avons dit, un siècle d’or, que ne souillèrent ni la corruption ni le crime. Alors, l’innocence et la simplicité de la vie pastorale étaient encore en honneur ; alors, la crainte perpétuelle qu’inspiraient les Carthaginois, nos ennemis, entretenait les mœurs antiques. Les cent dernières années qui s’écoulèrent depuis la ruine de Carthage, de Corinthe et de Numance, et la succession d’Attale, roi d’Asie, jusqu’au temps de César, de Pompée et d’Auguste, postérieur à eux, et dont nous parlerons, présentent un tableau magnifique d’exploits brillants, mais aussi de malheurs domestiques dont il faut gémir et rougir. Sans doute la Gaule, la Thrace, la Cilicie, la Cappadoce, ces provinces si fertiles et si puissantes, et enfin l’Arménie et la Bretagne, furent des conquêtes, sinon utiles, du moins belles, brillantes, glorieuses pour l’empire, par les grands noms qu’elles rappellent ; mais ce fut aussi le temps de nos guerres domestiques et civiles, des guerres contre les alliés, contre les esclaves, des gladiateurs, des sanglantes dissensions du sénat ; époque honteuse et déplorable.

Je ne sais s’il n’eût pas été plus avantageux au peuple romain de se contenter de la Sicile et de l’Afrique, ou, sans même avoir conquis ces pro-

  1. Ville située au confluent de l’Euphrate et du Tigre.