Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/684

Cette page n’a pas encore été corrigée

mers voisines, ils étendirent bientôt leurs brigandages sur celle de Crète, de Cyrène[1], d’Achaïe, sur le golfe de Malée, auquel les richesses qu’ils y capturaient leur avaient fait donner le nom de Golfe d’or. Publius Servilius, envoyé contre eux, dispersa avec ses gros vaisseaux de guerre leurs brigantins légers et faits pour la fuite ; mais la victoire qu’il remporta ne laissa pas d’être sanglante. Non content néanmoins d’en avoir purgé la mer, il détruisit leurs villes particulièrent bien fortifiées, où ils avaient accumulé leur butin journalier, Phasélis, Olympe, Isaure même, le boulevard de la Cilicie ; et le souvenir des grands travaux que lui coûta cette guerre, lui rendit bien cher le surnom d’Isaurique. Tant de pertes ne domptèrent cependant pas les pirates qui ne purent vivre sur le continent. Semblables à certains animaux, qui ont le double privilège d’habiter l’eau et la terre, à peine l’ennemi se fut-il retiré, qu’impatients du sol, ils s’élancèrent de nouveau sur leur élément, et poussèrent leurs courses encore plus loin qu’auparavant.

Pompée, ce général naguère si heureux, fut encore jugé digne de les vaincre ; et ce soin lui fut confié, comme un accessoire de département de la guerre contre Mithridate. Voulant détruire d’un seul coup, et pour jamais, ce fléau de toutes les mers, il fit contre eux des préparatifs plus qu’humains : ses vaisseaux et ceux des Rhodiens, nos alliés, formèrent une flotte immense, qui, partagée entre un grand nombre de lieutenants et de préfets, occupa tous les passages de Pont-Euxin et de l’Océan. Gellius bloqua la mer de la Toscane ; Plotius, celle de Sicile ; Gratilius, le golfe de Ligurie ; Pomponius, celui des Gaules ; Torquatus, celui des îles Baléares ; Tibérius Néron, le détroit de Gadès, qui forme l’entrée de notre mer ; Lentulus, la mer de Libye ; Marcellinus, celle d’Egypte ; les jeunes Pompée, l’Adriatique ; Terentius Varron, la mer Egée et la mer Pontique ; Métellus, celle de Pamphilie ; Coepion, celle d’Asie ; les embouchures même de la Propontide furent fermées, comme une porte, par les vaisseaux de Porcius Caton.

Ainsi les ports, les golfes, les retraites, les repaires, les promontoires, les détroits, les péninsules, tout ce qui servait de refuge aux pirates fut enveloppé, fut pris comme dans un filet. Quant à Pompée, il se porta vers la Cilicie, l’origine et le foyer de la guerre. Les ennemis ne refusèrent pas le combat, non dans l’espoir de vaincre ; mais, ne pouvant résister, ils voulaient du moins faire preuve d’audace. Leur résolution ne se soutint cependant pas au delà du premier choc. Bientôt, se voyant assaillis de tous côtés par les éperons de nos vaisseaux, ils se hâtèrent de jeter loin d’eux leurs traits et leurs rames, et, battant des mains à l’envi, en signe de supplication, ils demandèrent la vie. Jamais nous ne remportâmes une victoire moins sanglante ; jamais aussi nation ne nous fut désormais plus fidèle. Ce résultat fut le fruit de la rare sagesse du général, qui transporta bien loin de la mer, et enchaîna pour ainsi dire, au milieu du continent, ce peuple maritime, rendant ainsi tout à la fois aux vaisseaux l’usage de la mer et à la terre ses habitants.

  1. Grande ville grecque, qui donna son nom à la Cyrénaïque, contrée maritime de la Lybie, à l’ouest de l’Egypte.